Projet de loi-programme – le Conseil d’Etat très critique à l’égard de la nouvelle exit tax!

PARTAGER

lundi, 12 mai, 2025

Le Conseil d’Etat a rendu son avis concernant le projet de loi-programme , mettant en musique certaines mesures fiscales de l’accord gouvernemental. Il s’est montré particulièrement critique à l’égard du nouvel exit tax applicable en cas d’émigration de sociétés belges (et d’opérations assimilées). Je reviendrai sur d’autres éléments intéressants de l’avis très prochainement.

 

1️. De quel exit tax est-il ici question?

🔹 J’ai déjà évoqué dans plusieurs posts précédents l’exit tax accompagnant le projet de taxation des plus-values sur actifs financiers (nouvel article 92,§2 du CIR) [1].

🔹 Le Conseil d’Etat s’est ici prononcé sur une autre taxe à la sortie contenue le projet de loi-programme : celle qui frappe les actionnaires de sociétés belges qui émigrent. Le projet de loi-programme prévoit ainsi d’introduire une nouvelle catégorie de dividende (« fictif »), en cas de transfert de siège outbound d’une société belge (ou opération assimilée) (voir à ce sujet [2]) (nouvel article 18, al. 1, 2°quater, du CIR).

2️. Conformité avec le droit européen?

🔅 Suivant une jurisprudence établie de la Cour de justice (CJUE), les taxations à la sortie » (exit tax) peuvent être constitutives d’entraves à la sortie et donc à la liberté d’établissement, sauf à être justifiées par la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition et à condition d’être proportionnées.

Comme le rappelle le Conseil d’Etat, la Cour de justice vérifie à cet égard si l’Etat membre sur le territoire duquel des revenus ont été générés se voit effectivement empêché d’exercer sa compétence fiscale sur lesdits revenus à la suite de la sortie.

3️. La Belgique perd-elle son pouvoir d’imposition ?

🧨 Le Conseil d’Etat doute fortement que cette cause de justification soit ici rencontrée : la Belgique ne perdrait pas son pouvoir d’imposition, s’agissant des actionnaires-résidents!

↪️ On peut comprendre le raisonnement: si une société belge émigre par exemple au Luxembourg, toute distribution future (dividende, boni de liquidation,…) restera imposable au titre de dividende chez l’actionnaire belge résident.

Comment dès lors justifier que l’actionnaire puisse se faire taxer à hauteur d’un dividende fictif lors de l’émigration de la société belge (en application du nouvel article 18, al. 1, 2°quater, du CIR)?

Le Conseil d’Etat recommande au gouvernement de renoncer à ce nouveau dispositif, à défaut de motivation complémentaire convaincante!

4️. L’affaire Panayi (CJUE 14 septembre 2017)

🔹 Pourtant, le Conseil d’Etat avait laissé entrevoir la possibilité d’invoquer cette cause de justification, en renvoyant à la jurisprudence de la CJUE dans l’affaire Panayi (CJUE, 14 septembre 2017, C-646/15).

🔹 Celle-ci mettait en scène des trusts anglais dont la majorité des trustees (personnes physiques résidentes anglaises) avaient transféré leur domicile fiscal vers Chypre, ce qui avait déclenché une exit tax (taxation des plus-values latentes sur les actifs des trusts) au Royaume-Uni.

🔹 Les trustees avaient soutenu que le Royaume-Uni aurait toujours eu le pouvoir d’imposer les plus-values en question dans le chef des bénéficiaires du trust (résidents anglais), dans la mesure où lesdites plus-values pourraient leur être distribuées sous forme de « versements en capital » taxables.

🔹 La Cour de justice a toutefois rejeté cet argument, considérant que la compétence fiscale que conservait le Royaume-Uni était tributaire du « pouvoir discrétionnaire des trustees [de distribuer des revenus aux bénéficiaires britanniques] et des bénéficiaires [de rester eux-mêmes résidents britanniques] », ce qui n’était pas suffisant pour préserver son pouvoir d’imposition sur les plus-values générées sur son territoire.

🔹 Le Conseil d’Etat émet toutefois des doutes sur la possibilité d’assimiler la situation d’un trust qui émigre avec celle d’une société belge qui émigre, dont les actionnaires restent résidents de la Belgique.

 5. Affaire à suivre…

🔅 Le gouvernement va-t-il s’engouffrer dans cette brèche ouverte par le CE, et apporter une justification complémentaire convaincante ? Va-t-il cibler davantage cette exit tax (pour épargner par exemple les actionnaires restant en Belgique)?

Denis-Emmanuel Philippe

[1] https://denisemmanuelphilippetax.be/en/tax-news-en/new-exit-tax-contrary-to-eu-tax-law/

[2] https://denisemmanuelphilippetax.be/tax-news/avant-projet-de-loi-programme-focus-sur-la-taxe-sur-les-comptes-titres-tct-lexit-tax-les-rdt-et-la-reserve-de-liquidation/

 

PARTAGER

Loading...