L’ Echo: ‘L’Exit tax entravera l’exil des entreprises dès cette année’.

PARTAGER

jeudi, 13 février, 2025

L’ Exit tax devrait s’appliquer dès 2025. Cette taxe sera dissuasive pour les entreprises belges tentées par l’exil. Mais elle risque de violer le droit de l’UE.

Les frontières du Royaume deviennent plus hermétiques pour les entreprises belges. La nouvelle exit tax (taxe à la sortie, littéralement) que prépare le gouvernement fédéral devrait entrer en vigueur dès cette année, ressort-il des tableaux budgétaires de l’Arizona. Pour les entreprises candidates à l’exil, cet impôt devrait être dissuasif, estiment les spécialistes. Mais il pourrait aussi se heurter aux règles de l’Union européenne (UE).

C’est une petite surprise: alors que la plupart des mesures annoncées par le nouveau gouvernement belge sont censées entrer en vigueur en 2026, la nouvelle « exit tax » destinée à limiter l’expatriation de nos entreprises devrait s’appliquer dès 2025. C’est ce qui ressort des tableaux budgétaires publiés par la coalition Arizona.

En effet, alors qu’à terme, des recettes budgétaires de 50 millions d’euros par an sont escomptées, il apparaît que l’exécutif fédéral compte déjà sur des rentrées de 25 millions d’euros cette année. « Ça signifierait que le gouvernement envisage probablement d’intégrer cette disposition dans une loi-programme qui entrerait en vigueur début juillet », suppose Emmanuel Degrève, conseiller fiscal et associé fondateur chez Deg & Partners.

Interrogé à ce sujet, le porte-parole du ministre des Finances, Jan Jambon (N-VA), n’a pas été en mesure de confirmer l’information parce que le cabinet des Finances est seulement en phase de démarrage.

Le principe de l’exit tax de l’Arizona

Le principe de cette nouvelle taxe est assez simple. Si une entreprise belge se laisse tenter par les sirènes de l’étranger et déplace son siège social hors des frontières du Royaume, un nouvel impôt sera perçu à cette occasion. « L’émigration d’une personne morale (une société, NDLR) sera traitée fiscalement comme une liquidation fictive de la personne morale, avec application du précompte mobilier », dispose l’accord de coalition fédérale.

Une fiction légale est donc prévue: lors du transfert du siège de la société hors Belgique, on considère fictivement que la société est liquidée et que toute la valeur qu’elle a accumulée est distribuée aux actionnaires, ce qui constitue un dividende taxable.

« Toutes les réserves de la société belge seront censées être distribuées aux actionnaires lors du transfert de siège », explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law. « En termes plus techniques, l’émigration donnera lieu à un boni de liquidation (somme partagée entre les actionnaires à l’occasion de la liquidation d’une société, NDLR), considéré fiscalement comme un dividende imposable dans le chef de l’actionnaire. S’il s’agit d’un particulier résident belge, ce dividende sera imposable au taux de 30%. »

À noter que, dans la dernière version de l’accord de coalition, les termes « avec application du précompte mobilier » ont disparu, ce qui supposerait que les actionnaires devraient mentionner ces dividendes fictifs dans leur déclaration fiscale. « Ce changement de dernière minute laisse planer des zones d’ombre sur la portée exacte de l’exit tax », note Denis-Emmanuel Philippe.

Exemple d’application de la nouvelle exit tax

Une société holding belge est détenue par des actionnaires personnes physiques (résidents belges). Elle a des réserves de 1 million d’euros et détient des participations, comptabilisées pour 5 millions d’euros à l’actif de son bilan. La valeur de marché de ces participations est de 10 millions d’euros: il y a donc une plus-value latente de 5 millions d’euros.

En cas de transfert de siège de la société holding, par exemple vers le Luxembourg, on considérera, fictivement, que les actionnaires perçoivent un boni de liquidation de 6 millions d’euros (soit les réserves de 1 million et la plus-value latente de 5 millions). Ce boni sera taxable comme dividende au taux de 30%. Les actionnaires subiront donc un impôt de 1,8 million d’euros (30% de 6 millions).

 

L’exit tax aura un effet dissuasif

Ce nouvel impôt n’a pas pour seul but de procurer de nouvelles recettes fiscales à l’État fédéral. Il devrait aussi décourager le départ d’entreprises belges à l’étranger. La nouvelle exit tax devrait notamment dissuader des familles fortunées de délocaliser leur holding familial.

En effet, « pareille délocalisation va entraîner un impôt à payer sur un dividende fictif: n’oublions pas que les actionnaires n’ont pas reçu de liquidités de la société et ne se sont pas enrichis! », souligne Denis-Emmanuel Philippe, qui y voit « une situation plutôt cauchemardesque » pour les actionnaires concernés, qui souhaiteront donc probablement l’éviter.

Possibilité d’éviter la taxe

Il existerait toutefois une manière d’échapper à l’application de l’exit tax lors d’un transfert de siège à l’étranger. Il suffirait à chaque actionnaire visé de transférer ses parts dans l’entreprise à une société holding de droit belge contrôlée par lui-même.

En effet, « le précompte mobilier pourrait être évité si les actionnaires ne sont pas des personnes physiques, mais des sociétés éligibles à une exonération de précompte mobilier », explique Denis-Emmanuel Philippe. « Tel pourrait être le cas si ces sociétés actionnaires détiennent une participation de plus de 10% depuis plus d’un an dans la société belge qui émigre. On pourrait donc concevoir que certains actionnaires particuliers apportent leurs actions dans la société belge à une société holding avant d’opérer le transfert de siège. »

Mais attention: le fisc pourrait voir un abus dans cette démarche. « Dans ce genre de schéma, il faut toujours bien veiller à pouvoir justifier la restructuration autrement que par le seul souci d’éviter l’impôt belge, compte tenu de l’arsenal de mesures fiscales anti-abus que le fisc est susceptible d’opposer », indique Denis-Emmanuel Philippe. « Des motivations de nature économique, financière, patrimoniale sont donc le nerf de la guerre. »

Risque de violation du droit européen

Alors qu’elle n’a pas encore vu officiellement le jour, la nouvelle exit tax pourrait déjà être contestée. Elle risque, en effet, d’être contraire au principe européen de liberté d’établissement.

Pour comprendre ce problème, il faut d’abord se pencher sur une autre exit tax, qui existe déjà en droit belge. À la différence du projet de l’Arizona, cette dernière est applicable dans le cadre de l’impôt des sociétés. Par conséquent, contrairement à l’exit tax du gouvernement De Wever, elle ne touche pas les actionnaires, mais la société elle-même.

Et ici aussi, la taxation passe par une fiction légale. « Lorsqu’une société transfère son siège à l’étranger et ne conserve pas d’établissement en Belgique, cette société n’est plus soumise à l’impôt belge », explique Laurent Donnay de Casteau, avocat associé chez Advisius. « L’émigration de la société induisant une disparition du pouvoir d’imposer, cette opération est assimilée en Belgique à une liquidation de la société. Il s’agit d’une fiction fiscale, prévue explicitement par la loi. »

Dans le cadre de cette exit tax existante, les plus-values latentes sur les actifs de la société sont soumises à l’impôt des sociétés, au taux de 25%, grâce à la fiction légale. « Cette fiction fiscale est compréhensible: la Belgique perd son pouvoir d’imposition sur la création de valeur au sein de la société, par la réalisation de l’émigration; la fiction permet à la Belgique de percevoir l’impôt sur cette création de valeur », souligne Laurent Donnay, qui précise que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé cette exit tax compatible avec le droit européen.

 

Risque de procédure devant la justice européenne

Or, la nouvelle exit tax de l’Arizona serait bien différente. « Le nouveau gouvernement, en annonçant une réforme conduisant à l’application du précompte mobilier, vise à étendre la fiction de liquidation aux actionnaires », explique Laurent Donnay. En dissuadant les actionnaires d’établir le siège de leur société à l’étranger, la nouvelle taxe restreint la liberté d’établissement, ce qui est contraire au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

« Une restriction à la liberté d’établissement peut cependant être admise, et justifiée, par une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre États membres », nuance Me Donnay de Casteau. « Il s’agit, en effet, de préserver les recettes fiscales liées aux créations de valeur localisées dans chaque État membre. » Cette justification explique pourquoi la première exit tax, à l’impôt des sociétés, est admise par la CJUE.

Par contre, « la justification ne tient pas la route au niveau de l’actionnaire de la société qui émigre », poursuit Laurent Donnay de Casteau. « En effet, l’actionnaire résident belge reste imposable en Belgique sur les dividendes de la société, qu’elle soit belge ou qu’elle ait transféré son siège dans un autre pays. Dans cette situation, le pouvoir d’imposition de la Belgique ne cesse pas d’exister. Ce pouvoir d’imposition n’est donc pas mis en péril par le transfert de siège de la société. »

Par conséquent, « nous pouvons douter qu’une telle imposition ‘à la sortie’ soit justifiée en ce qui concerne l’imposition de l’actionnaire », conclut Me Donnay. « La conformité européenne d’une telle mesure risque bien d’être remise en question et portée, in fine, devant la CJUE. » Voilà du grain à moudre pour les députés qui seront appelés à se pencher sur le projet de nouvelle exit tax du gouvernement fédéral.

 

Le résumé

  • Le gouvernement fédéral veut appliquer une nouvelle exit tax aux sociétés belges qui s’expatrient.
  • Cette mesure devrait entrer en vigueur dès cette année, ressort-il des tableaux budgétaires.
  • Éviter cette exit tax serait possible, mais l’administration fiscale pourrait y voir un abus.
  • Ce nouvel impôt pourrait violer le droit européen et finir devant la Cour de justice de l’Union européenne

 

Journaliste Philippe Galloy

Lire aussi l’ interview de Denis-Emmanuel Philippe dans L ‘ Echo 

20250214.L’ Echo.Media

PARTAGER

Loading...