L’accord de gouvernement comprend des centaines de points qui touchent de près ou de loin les entreprises. La Libre a listé les mesures les plus importantes qui sont favorables, défavorables ou neutres pour les entrepreneurs et entreprises. Le bilan est globalement favorable.
L’accord gouvernemental, oh surprise, veut « répondre à la question cruciale de la compétitivité de nos entreprises« . Comme il le martèle depuis des mois, le nouvel attelage dirigé par Bart De Wever entend « promouvoir un environnement entrepreneurial favorable tout en relevant les défis actuels du marché mondial« , comme le dit le texte de l’accord. Pour peu, on se contenterait bien du nombre d’occurrences du mot « compétitivité » dans l’accord – 55 – pour se convaincre qu’effectivement, entrepreneurs et entreprises seront choyés. Compétitivité, innovation, simplification administrative, soutien à la recherche et à l’innovation reviennent en boucle dans les 209 pages de l’accord. Les mémorandums des fédérations patronales ne diraient pas autre chose. Mais l’accord de l’Arizona est-il à la hauteur, théoriquement s’entend ? Etats des lieux des différentes mesures envisagées pour les entreprises.
Les mesures favorables aux entreprises
L’accord Arizona entend faciliter l’activité économique par des mesures claires, notamment fiscales, qui allègent le fardeau des entreprises et stimulent leur compétitivité.
1. Exonération des revenus définitivement taxés (RDT)
L’une des réformes notables concerne le régime des revenus définitivement taxés (RDT). Pour rappel, ce régime belge des RDT permet à la base d’éviter la double imposition d’une activité économique à l’occasion de la distribution de dividendes entre sociétés, moyennant la réalisation de certaines conditions de détention et de taxation. Le texte de l’accord précise que « la condition de participation de 10 % reste inchangée, celle 2,5 millions d’euros est renforcée : elle passe à 4 millions d’euros et est couplée (selon la version flamande de l’accord, NdlR) à sa qualification au titre d’immobilisation financière. Cette restriction ne s’applique pas aux petites et moyennes entreprises mais uniquement aux grandes entreprises et aux transactions entre elles« . Traduction : seules seront visées par ce durcissement les grandes sociétés holdings, c’est-à-dire celles dépassent certains seuils en termes de personnel (250 personnes) et de chiffre d’affaires (50 millions d’euros) ou de total de bilan (43 millions d’euros). « Même si ces seuils doivent être appréciés de manière consolidée lorsque la holding fait partie d’un groupe, l’écrasante majorité des sociétés holdings ne franchissent selon moi pas ces critères, de sorte qu’elles devraient échapper aux mailles du filet« , estime Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste chez Bloom Law. La déduction des RDT va par ailleurs se transformer en une exonération. L’idée est de mettre le régime RDT en conformité avec le droit européen. Ceci permettra notamment aux groupes de sociétés d’appliquer le régime de consolidation fiscale (transfert intra-groupe) sans encombres.
2. Assouplissement des transferts intragroupes
Le mécanisme de consolidation fiscale (régime de « transfert intra-groupe »), qui permet d’opérer une compensation entre les bénéfices et les pertes de sociétés appartenant à un même groupe, va être aussi assoupli. Le texte devra être discuté au Parlement mais l’accord est clair : « Le régime de transfert intra-groupe deviendra également plus attractif, plus flexible et plus simple sur le plan administratif en permettant à la fois des participations directes et indirectes, en n’excluant plus les nouvelles sociétés et en rendant possible la déduction RDT de la contribution au groupe. » L’assouplissement de ce régime de consolidation va faire le bonheur de nombreux groupes de sociétés belges et devrait aussi rendre la Belgique plus attractive pour les investisseurs étrangers.
3. Amortissement accéléré des investissements
L’introduction d’un amortissement accéléré pour certains investissements — en particulier dans la recherche et développement (R&D), les technologies de défense et les énergies renouvelables — constitue un levier puissant pour les entreprises, notamment les PME. Cela leur permet d’alléger leurs charges fiscales et d’encourager des investissements essentiels pour l’innovation et la transition énergétique. « La possibilité de pratiquer un amortissement de 40 % (la première année) sur certains investissements éligibles est une bonne nouvelle« , confirme Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste. « Dans la même veine, l’accord gouvernemental prévoit la possibilité de reporter la déduction pour investissement. On voit ici clairement l’intention du gouvernement de donner un coup de pouce aux entreprises qui investissent. Actuellement, à l’impôt des sociétés la déduction de base n’est reportable que de manière limitée dans le temps« , précise Pierre-François Coppens, avocat fiscaliste.
4. Simplification de l’impôt des sociétés
La simplification du système fiscal des sociétés, prévue par l’accord, vise à alléger les démarches administratives et à rendre le système plus transparent. En réduisant le nombre de codes fiscaux et en facilitant la compréhension du système, les entreprises bénéficieraient d’un cadre plus souple et plus prévisible, réduisant ainsi les risques de litiges et d’erreurs fiscales. « L’objectif également est de simplifier drastiquement les règles de déductibilité des voitures de société« , relève Pierre-François Coppens. Pas du luxe, quand on sait que pour de nombreux experts, le calcul des déductions des frais de voiture représente parfois plus de la moitié du temps passé à compléter la déclaration fiscale.
5. Reconnaissance de la notion de bonne foi
Il est de tradition que l’administration fiscale applique systématiquement une amende administrative en cas de retard, même minime, dans le dépôt des déclarations fiscales. Cette sanction est en outre assortie d’une impossibilité de déduire les pertes fiscales de la société, ce qui oblige les sociétés à payer un impôt qui peut s’avérer parfois très élevé. Pour nombre de sociétés, cette sanction peut créer un réel préjudice car cela pénalise leur trésorerie. Les tribunaux avaient sanctionné l’attitude de l’administration fiscale qui punissait ainsi sévèrement des erreurs ou infractions commise de bonne foi. « Il est prévu de modifier le texte pour ce refus de déduction des pertes qu’en cas de récidive. La nouvelle coalition a été sensible à ce problème qui avait été critiqué sévèrement par divers auteurs et les professionnels du chiffre. Il était temps !« , estime Pierre-François Coppens.
6. Modification relative aux versements anticipés
Un autre point positif pour la trésorerie des sociétés est qu’à partir de 2026, la majoration pour insuffisance de versements anticipés sera supprimée. En outre toujours dans la perspective d’aider la trésorerie des entreprises, une cinquième période pour le paiement anticipé sera introduite qui devra être effectué pour le 20 février de l’année qui suit l’exercice comptable.
Les mesures défavorables aux entreprises
Cependant, certaines dispositions de l’accord Arizona risquent d’imposer des défis supplémentaires pour les entreprises, notamment en termes de charges fiscales et de régulations.
1. Contribution de solidarité et exit tax
La création d’une contribution de solidarité à l’impôt des personnes physiques, dont l’assiette fiscale pourrait être largement étendue, ainsi que l’introduction d’une « exit tax » sur l’émigration des sociétés, risquent de décourager certaines entreprises de se réorienter à l’international. Cette mesure vise à garder les entreprises au sein de la Belgique, mais pourrait se traduire par un frein à l’expansion de certaines sociétés, notamment celles opérant à l’échelle européenne ou mondiale. Cette contribution de solidarité – la fameuse taxation progressive des plus-values, jusqu’à 10 % au-delà de plus-values de 10 millions d’euros, risque cependant de faire couler encore beaucoup d’encre. L’exemption de taxer au-delà de 10 ans de détention et les petites participations non cotées (celles qui génèrent des plus-values de moins d’un million d’euros) sont semble-t-il hors champ d’application de l’accord gouvernemental, mais tout cela sera discuté au Parlement. Une contrainte : que cette loi rapporte, en rythme de croisière, 500 millions d’euros.
2. Plafonnement des avantages en nature (ATN)
Le plafonnement des avantages en nature, comme les allocations pour voiture de fonction ou d’autres frais propres aux dirigeants d’entreprise, ainsi que la régulation des rémunérations minimales pour ces derniers, pourrait rendre la gestion des ressources humaines plus complexe pour certaines entreprises. Ces mesures imposent des contraintes supplémentaires à une gestion déjà souvent complexe des coûts sociaux. Concrètement, le rehaussement du seuil de rémunération minimale de 45 000 à 50 000 euros (qui sera par ailleurs indexé chaque année), afin de pouvoir bénéficier du taux réduit à l’impôt des sociétés de 20 % (sur la première tranche de 100 000 euros) n’est clairement pas une bonne nouvelle. Débat il y a cependant ici sur la limitation du montant de l’avantage de toute nature (ATN) à 20 % de la rémunération annuelle brute. Ce changement devrait conduire dans certains cas les administrateurs à modifier leur politique de rémunération (limitation de la mise à disposition d’un véhicule/logement gratuit, limitation de l’octroi de stock-options,…). Question, sur laquelle l’accord gouvernemental est muet : quid en cas de dépassement ? « Peut-on comprendre que pour arriver au minimum de 50 000 euros, on ne peut prendre en compte que les ATN à hauteur de 20 % de la rémunération annuelle » ?, s’interroge Denis-Emmanuel Philippe. Renseignement pris auprès d’un conseiller fiscal qui a négocié l’accord gouvernemental sur ce plan, « on dit juste qu’il faut une rémunération de 50 000 euros, dont maximum 20 % d’ATN, soit minimum 40 000 euros en cash. Il n’y aura aucune conséquence fiscale en cas de dépassement« . Ce ne sera donc juste pas pris en compte… « Ce point est important car de nombreux dirigeants de sociétés font payer par leur société les cotisations sociales, ce qui entraîne de facto à dépassement du seuil de 20 %« , précise Pierre-François Coppens.
3. Nouvelle taxe sur les boni d’acquisition de Sicav RDT
L’instauration d’une taxe sur les bonis d’acquisition, en particulier pour les Sicav RDT (Sociétés d’Investissement à Capital Variable), ainsi que l’introduction de conditions de rémunération minimales pour les dirigeants, pourrait rendre certains investissements plus coûteux. « Concernant les SICAV RDT, une taxe de 5 % sera appliquée sur la plus-value lors du rachat. En outre la possibilité de compenser le précompte mobilier avec l’impôt des sociétés ne sera possible que dans la mesure où la société réceptrice attribue, dans l’année de revenus de la réception du payement, une rémunération minimale à son dirigeant d’entreprise (lire ci-dessus, NdlR)« , précise l’accord de gouvernement. « De nombreuses PME investissent leurs liquidités excédentaires dans des SICAV RDT. Ces mesures sont plutôt symboliques et ne devraient selon moi pas être de nature à rendre ce produit moins attrayant », estime Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law).
Les mesures neutres pour les entreprises
Enfin, certaines mesures de l’accord Arizona sont dites « neutres » en ce qu’elles n’entraînent pas de changements significatifs pour les entreprises, mais visent avant tout à renforcer la transparence et la sécurité juridique.
1. La réserve de liquidation reliftée
La réserve de liquidation subit un certain lifting, avec un volet très favorable et un volet moins favorable : le délai d’attente pour une distribution de la réserve liquidation passe de cinq ans à trois ans, « ce qui est très important car de nombreuses entreprises sont parfois cédées dans un délai assez rapide, ce qui rend plus rapide l’usage de l’avantage de cette réserve de liquidation, surtout si le repreneur est une société commerciale et non des personnes physiques (une société bénéficie en effet déjà régime RDT et n’a donc pas d’avantage à se voir transférer une réserve liquidation) », précise Pierre-François Coppens. Un délai de trois ans permet rapidement de tirer profit de ce régime fiscal. Le volet moins favorable est qu’en cas de distribution après trois ans, le taux sera porté de 5 % à 6,5 % à partir du 1er janvier 2026 pour les réserves de liquidation nouvellement constituées. « Mais il faut nuancer ce désavantage, estime l’expert. Comme en pratique le taux effectif de taxation du régime fiscal des réserves de liquidation est de l’ordre de 14 % (la plupart des sociétés ne paient en effet pas 10 % lors de la constitution de la réserve liquidation mais 9,09 % (100/110èmes de 10 %) , cette augmentation ne vise qu’à s’aligner sur le régime VVPR bis qui prévoit un taux de 15 % sur les dividendes« .
2. Transparence et sécurité juridique
L’accord « arizonien » prévoit des améliorations en matière de transparence fiscale et de sécurité juridique. Bien qu’il ne modifie pas directement les règles fiscales, ce type de mesure permet de réduire les incertitudes pour les entreprises, en garantissant que le cadre législatif sera plus stable et plus clair. Les interactions entre le service des décisions anticipées (SDA) et l’administration fiscale seront éclaircies. Le rôle du SDA sera « affiné’, nous dit-on diplomatiquement. Pour rappel, de nombreuses bisbrouilles ont eu lieu ces dernières années au sein du SDA, la politisation de l’institution, notamment, la rendant moins efficace, alors qu’elle est un instrument primordial de sécurisation juridique pour les entreprises. Le gouvernement prévoit ainsi « d’évaluer le fonctionnement du service des rulings et réformera également la procédure de nomination des membres du collège valorisant ainsi davantage l’expertise, ainsi que les conditions de détachement et de développement de carrière du personnel. » Tout est dit.
3. Arbitrage fiscal
L’instauration de mécanismes d’arbitrage fiscal vise à permettre aux entreprises de résoudre rapidement les différends avec les autorités fiscales, sans pour autant les obliger à recourir à de longues procédures judiciaires. Cela crée un environnement plus favorable à la gestion des litiges fiscaux, en garantissant une résolution rapide et impartiale des conflits. Comme le rappelle l’accord gouvernemental, « à la fin de l’année 2023, il y avait 16 878 litiges fiscaux en cours devant les tribunaux belges. Afin de réduire ce nombre, le service de médiation fiscale sera transformé en arbitrage fiscal. L’accès à cet arbitrage fiscal ne sera possible que lorsque la procédure administrative sera terminée« , précise cependant l’Arizona, qui croit aussi bon de préciser que « l’arbitre fiscal qui traitera la plainte ne sera pas le même que celui qui rendra la décision sur l’arbitrage« .
4. Assouplissement des règles sur les « carried interest »
Le réaménagement des règles concernant le « carried interest », soit la part de gains attribuée aux gestionnaires de fonds d’investissement (commission de surperfomance, en somme), vise à les rendre plus attractives tout en maintenant l’équité fiscale. Cette mesure neutre vise à améliorer l’attractivité de la Belgique pour les investissements étrangers sans nuire aux finances publiques. « Le gouvernement mettra en place un régime spécifique et compétitif concernant les « carried interest » par rapport aux régimes existants dans les pays voisins, afin de stimuler l’activité des fonds en Belgique. Ce régime prévoit un taux d’imposition maximal de 30 % pour les revenus mobiliers et n’aura aucun impact sur les plans existants« , précise l’accord gouvernemental.