L’ Echo: ‘Les conventions préventives ne font pas obstacle à la taxe Caïman’.

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samedi, 14 décembre, 2024

L’administration fiscale considère qu’elle peut appliquer la taxe Caïman sans se soucier des conventions préventives de double imposition. Une position qui ne manquera pas d’interpeller les praticiens.

Les conventions préventives de double imposition conclues par la Belgique font-elles obstacle à l’application de la taxe Caïman? C’est une question qui taraudait depuis un certain temps déjà les praticiens. L’administration fiscale vient de se prononcer sur cette question le 11 décembre dernier par voie de circulaire, en considérant qu’elle avait les mains libres pour appliquer la taxe Caïman. Ce qui ne manque pas d’étonner certains observateurs, mais nous y reviendrons.

Rappelons que la taxe Caïman, instaurée en 2015, impose les revenus d’une construction juridique dans le chef de ses fondateurs ou bénéficiaires comme s’ils les avaient eux-mêmes directement perçus. Objectif: mettre un frein à l’évasion fiscale.

Pour illustrer l’enjeu de la compatibilité de la taxe Caïman avec les conventions préventives de double imposition, prenons l’exemple d’un particulier belge, fondateur d’une construction juridique dans un État avec lequel la Belgique a conclu une telle convention préventive. Par « construction juridique », on vise notamment la Soparfi luxembourgeoise, une holding chypriote ou maltaise, un trust au Canada ou encore une SCI française détenant une seconde résidence en France.

En application de la taxe Caïman, la personne physique est imposable à l’impôt des personnes physiques sur les revenus imposables recueillis par la construction juridique, par exemple les dividendes, intérêts ou plus-values. Or, la construction juridique est parfois aussi taxée dans son État de résidence sur les revenus en question. « Ce qui conduit à une potentielle double imposition du même revenu: une première fois au niveau de la construction juridique, une seconde fois chez le particulier à l’IPP en Belgique », signale Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law.

Double imposition « économique »

Dans sa circulaire du 11 décembre, l’administration fiscale est d’avis que cette double imposition n’est pas contraire aux conventions préventives de double imposition.

Son argumentation repose sur le constat suivant: les conventions préventives font en principe uniquement obstacle aux doubles impositions « juridiques », qui se traduisent par la taxation du même contribuable dans les deux États. Or, il est ici question d’une double imposition « économique », c’est-à-dire d’une taxation d’un même revenu dans le chef de deux contribuables différents: le fondateur belge (à l’IPP) et la construction juridique étrangère (dans son État de résidence).

Denis-Emmanuel Philippe cite l’exemple d’une Soparfi luxembourgeoise, qui recueille 50.000 euros de dividendes. « Selon cette circulaire, la convention belgo-luxembourgeoise ne s’oppose pas à ce qu’ils soient imposables à l’IPP chez le fondateur belge à 30%, quand bien même ceux-ci seraient imposés au Luxembourg à l’impôt des sociétés à 25% chez la Soparfi. »

Mais il y a quand même un hic, prévient l’avocat fiscaliste: « Cette circulaire n’a pas force de loi. Il me paraît évident que cette position administrative sera contestée par les contribuables devant les cours et tribunaux. Du moins ceux que la perspective d’un procès long, coûteux et à l’issue incertaine n’effraie pas! »

Il rappelle à cet égard le jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 11 mars 2020, qui a entériné un accord entre l’administration fiscale belge et le fondateur belge d’un trust imposé au Canada. « Le fisc a accepté de renoncer à appliquer la taxe Caïman, au motif que celle-ci était contraire à la convention préventive de double imposition belgo-canadienne. La circulaire du 11 décembre 2024 va radicalement à l’encontre de la position adoptée dans cette affaire… »

Le résumé

  • L’administration fiscale considère qu’elle peut appliquer la taxe Caïman sans se soucier des conventions préventives de double imposition.
  • Cette position est reprise dans une circulaire qui interpelle les praticiens.
  • Ils s’attendent à ce que cette position administrative soit contestée par les contribuables devant les cours et tribunaux.
  • La circulaire va par ailleurs à l’encontre d’un jugement rendu en 2020 par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

Journaliste Jean-Paul Bombaerts

Lire aussi l’article de Denis-Emmanuel Philippe dans L’ Echo.

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