Les fondations aux Pays-Bas n’ont plus la cote auprès des entreprises belges. Lotus Bakeries vient de donner l’exemple, d’autres suivront sans doute.
Les fondations de droit néerlandais n’offrent plus les mêmes avantages qu’avant aux grandes familles actionnaires de groupes belges. On vient d’en avoir la confirmation avec le fabricant de biscuits Lotus Bakeries, dont les actions sont reprises dans l’indice Bel 20 de la Bourse de Bruxelles. D’autres sociétés cotées concernées pourraient suivre son exemple.
La famille Boone, qui contrôle Lotus Bakeries, a fondé début septembre la Lotus Bakeries Share Foundation, une fondation privée de droit belge. Elle y a relogé les parts de contrôle du groupe qui étaient jusqu’ici déposées dans une fondation (STAK, pour Stichting Administratiekantoor) aux Pays-Bas: 50% des actions et 63,4% des droits de vote, comme la société l’a confirmé à nos confrères du Tijd. La raison? Il existe aujourd’hui une alternative en droit belge à la STAK néerlandaise et les principaux actionnaires de la société ont décidé de faire usage de cette option pour ancrer son actionnariat familial, a expliqué en substance une porte-parole de Lotus.
Ces entreprises belges qui ont choisi la fondation néerlandaise
De nombreuses autres sociétés belges ont également choisi la fondation néerlandaise pour « coiffer » leur chaîne de contrôle actionnarial. Via la certification d’actions, ces structures leur permettaient (et permettent toujours) de scinder les droits de vote et les droits économiques (dividende et autres revenus) liés à leurs participations, facilitant ainsi à la fois le contrôle et la pérennité de l’entreprise à travers les différentes générations d’actionnaires familiaux. Le tout dans un cadre fiscal généreux, puisque les STAK n’étaient (ne sont) pas soumises à l’impôt sur les revenus.
Au sein du Bel 20, on en trouve quelques-unes qui recourent toujours à ce système. On peut citer le géant brassicole AB InBev, dont la STAK Anheuser-Busch InBev détient 32,0% des droits de vote, ou encore le holding AvH, dont la STAK Het Torentje en contrôle 33%. Hors Bel 20, le distributeur Colruyt renvoie aussi, via le holding Korys, à une STAK néerlandaise. Baptisée Cozin, celle-ci possède 64,2% de ses droits de vote. Ces sociétés vont-elles se laisser tenter à leur tour par les atouts liés au rapatriement? La question mérite d’être soulevée.
Le contexte belge a en effet changé du tout au tout suite à deux évolutions, l’une juridique et l’autre fiscale.
Le régime des fondations assoupli
Créée par le législateur en 2002, la fondation privée belge a vu sa structure assouplie à la faveur de la réforme du Code des sociétés et associations en 2019.
« Depuis la réforme, une fondation privée peut ne compter qu’un seul administrateur (au lieu d’au moins trois par le passé), à l’instar de ce qui est prévu pour une STAK néerlandaise », explique maître Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé au cabinet Bloom.
« L’obligation – qui prévalait avant la réforme du Code des sociétés – d’avoir trois administrateurs était fort contraignante, et expliquait notamment pourquoi les familles belges privilégiaient la STAK néerlandaise. Maintenant que cette contrainte est passée à la trappe, la donne a changé, et la fondation privée belge connaît un regain d’attractivité pour la certification de titres de sociétés. »
La taxe Caïman renforcée
La loi-programme du 22 décembre 2023 a par ailleurs renforcé la taxe Caïman. Ces mesures qui visaient au départ en 2015 les paradis fiscaux et les sociétés off-shore ont été élargies et les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur au premier janvier 2024. Elles touchent désormais aussi, de manière indirecte, les fondations aux Pays-Bas.
« Dans le cadre de la réforme de la taxe Caïman, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem a été amené à confirmer que la STAK était bien une ‘construction juridique' », souligne Denis-Emmanuel Philippe. « Plusieurs conséquences en découlent. D’abord, les fondateurs de la STAK (en règle générale, le pater familias qui a constitué la fondation, mais aussi les enfants – titulaires des certificats) sont soumis à une obligation déclarative relativement lourde, suite aux modifications apportées dans le cadre de la réforme. »
« Selon le nouveau modèle de déclaration fiscale (exercice d’imposition 2024), une panoplie d’informations concernant la STAK doivent être transmises dans une annexe obligatoire à joindre à la déclaration, notamment le montant du patrimoine de la STAK à la fin de la période imposable, la partie du patrimoine apporté à la STAK par le fondateur, les revenus recueillis par la STAK, etc. Bref, il faudra en quelque sorte transmettre la comptabilité de la STAK chaque année au fisc! »
Transfert « gratuit »
Il faut en outre désormais identifier les bénéficiaires effectifs des sociétés belges dont les actions ont été certifiées via une fondation néerlandaise.
Par comparaison, la fondation belge n’est pas considérée comme « construction juridique ». Et le transfert d’une STAK vers la Belgique ne donne pas lieu à une imposition au titre de dividende, relève encore Denis-Emmanuel Philippe. Le gouvernement fédéral semble avoir ainsi atteint son but premier, ajoute-t-il, qui était d’encourager le retour de pareilles constructions juridiques et de leurs actifs vers notre pays. Reste à voir quelle société cotée sera la suivante à faire le pas.
Le résumé
- Les fondations de droit néerlandais n’offrent plus les mêmes avantages qu’avant aux grandes familles actionnaires de groupes belges.
- On vient d’en avoir la confirmation avec le fabricant de biscuits Lotus Bakeries, qui a transféré ses parts de contrôle à une fondation de droit belge.
- La réforme du Code des sociétés et le renforcement de la taxe Caïman ont changé la donne pour les actionnaires.
- D’autres sociétés concernées pourraient suivre son exemple: parmi les belges cotées, AB InBev, Colruyt ou encore AvH ont des STAK de droit néerlandais au sommet de leur structure actionnariale.
Journaliste Michel Lauwers
Lire aussi l’intv de Denis-Emmanuel Philippe dans L’ Echo.