L’avant-projet de loi-programme de lois fiscales diverses du nouveau ministre des Finances est prêt. La taxation des plus-values, qui continuera à faire couler beaucoup d’encre, n’en fera pas partie!
Le projet de loi-programme du ministre des Finances Jan Jambon (N-VA) est dans les starting-blocks. Il n’y manque deux points, dont le plus sensible : la taxation des plus-values, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. A bonnes sources, on nous confirme que cette taxe n’en fera pas partie! On rappellera que le rendement de cette taxe est attendu à 500 millions d’euros et qu’elle était censée compenser des mesures sociales plus dures sur les marchés du travail et des pensions.
Politiquement, cette taxe fera donc couler encore beaucoup d’encre, à n’en pas douter, les différents partis de l’Arizona interprétant diversement les modalités fixées dans la super note de Bart De Wever et surtout dans une note à part (soi-disant « secrète »). Cela étant, comme nos confrères du Tijd, un vent favorable nous a fait découvrir l’avant-projet de loi-programme, sorte de loi fourre-tout avec diverses mesures fiscales, du ministre des Finances Jan Jambon (N-VA). État des lieux.
1. Les pensions alimentaires
Déjà sous la législature précédente, l’ancien ministre Vincent Van Peteghem (CD&V) voulait s’attaquer aux pensions alimentaires, qu’il trouvait injustifiées. Ce point figurait dans l’accord Arizona, et ne se retrouve pas comme prévu dans le projet de loi-programme actuel. L’actuel gouvernement prévoyait un régime transitoire. À l’heure actuelle, les rentes alimentaires versées peuvent être déduites (à 80 %) de tous les revenus imposables globalement. D’un autre côté, la rente alimentaire (imposable à 80 %) échappe souvent (en grande partie) à l’impôt des personnes physiques (IPP), en particulier lorsque le crédirentier ne perçoit pas (ou peu) d’autres revenus imposables. Alors que la première version d’août de la super nota prévoyait une suppression pure et simple, le montant déductible va diminuer progressivement chez le débirentier, puisqu’il passera de 80 % à 50 %. « Voici le calendrier prévu par l’avant-projet de loi-programme : 70 % pour les rentes attribuées à partir du 1er janvier 2025, 60 % pour celles attribuées à partir du 1erjanvier 2026 et 50 % pour les rentes attribuées à partir du 1er janvier 2027. La mesure est donc déjà d’application cette année« , explique Denis-Emmanuel Phillippe, avocat associé chez Bloom Law, à qui nous avons soumis le texte pour y jeter un œil expert. La mesure aura un gros impact : quelque 170 000 contribuables ont sollicité la déduction de pensions alimentaires en 2023, pour un montant total d’environ 700 millions d’euros.
2. La taxation des comptes-titres
Si la taxation des épaules les plus larges – que personne au niveau politique n’a jamais vraiment définie – était soi-disant la clé des négociations de l’Arizona, quelques mesures phares contenues dans la super nota d’août ne figurent plus dans l’accord gouvernemental. Il en va ainsi de la réforme fiscale (adaptation des taux d’imposition en fonction des tranches de revenus) et de la taxe compte-titres, qui aurait pu être doublée, de 0,15 à 0,30 %, même si le scénario « à 0,25 % » a aussi circulé. Cependant, si la taxe compte-titres n’a pas été alourdie, elle sera toutefois mieux perçue — en tout cas des recettes fiscales de 50 millions d’euros de plus sont prévues chaque année. On va donc lutter contre les abus. Pour ce faire, le projet de loi-programme prévoit que « la conversion en actions nominatives et les scissions de comptes-titres (transfert vers la même ou une autre banque pour faire en sorte que chaque compte-titres ait une valeur inférieure à 1 million d’euros) va créer une présomption réfragable d’abus fiscal« , explique Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law). Une nouveauté, ajoute cependant l’expert fiscal : « les conversions portant sur plus de 20 % des actions échappent à la mesure anti-abus ! Les conversions en actions nominatives devront être notifiées à l’administration par les banques dans les 30 jours suivant la fin d’une période de référence« . Le Point de contact central, désormais sorte centre de données pour le compte de fisc, servira de base pour les contrôles.
3. Déduction des intérêts fédérale
L’avant-projet de loi confirme que la suppression de la déduction des intérêts sur les secondes résidences vise à « faire contribuer les épaules les plus fortes à l’assainissement des finances publiques ». « Pas sûr que tous ceux qui ont une seconde résidence ont tous les épaules fort larges… », relève l’expert fiscal, faisant référence aux nombreuses personnes qui ont un bien loué pour compléter leur pension légale. Manifestement, cette mesure, qui doit rapporter 210 millions d’euros en rythme de croisière, peut manifestement être cataloguée « dans la taxation des épaules les plus larges ». Mais, note une de nos sources, « si la mesure ne vise techniquement que les biens repris dans le code seconde résidence de la déclaration IPP, elle est parfaitement contournable. Exemple: J’achète un bien immobilier à la mer ou en Ardennes et je m’y domicilie. Il passe alors en résidence principale. Mon appartement à Bruxelles, payé ou pour lequel plus aucune mensualité de capital et d’intérêt n’est à payer, devient résidence secondaire. »
4. Exit tax
La création d’une « exit tax » sur l’émigration des sociétés risque de décourager certaines entreprises de se réorienter à l’international. Qu’à cela ne tienne, l’Arizona persiste et signe : « Cette nouvelle taxation à la sortie frappe les actionnaires (particuliers ou sociétés) de sociétés belges qui transfèrent des actifs à l’étranger sous différentes formes : transfert de siège de la société belge à l’étranger, fusion transfrontalière de la société belge, transfert des actifs à un établissement stable étranger, ….Pour atteindre cet objectif, on élargit la définition de dividende imposable aux plus-values (latentes) sur les actifs transférés à l’étranger« , explique Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law). Qui ajoute : « on se réjouira qu’un mécanisme « anti-double imposition » ait été prévu de manière à éviter que les plus-values sur actifs (imposées chez l’actionnaire lors du transfert à l’étranger) soient imposées à nouveau en cas de distribution future/effective« . Petite surprise, ajoute-t-il : « l’exit tax ne sera pas prélevée par voie de précompte mobilier. Les actionnaires devront donc déclarer le dividende « fictif » dans leur déclaration fiscale. Une obligation d’établissement de fiche est mise à charge de la société qui transfère les actifs à l’étranger« .
5. Gel des dépenses fiscales
Mauvaise nouvelle pour les contribuables, qui seront plus taxés : le gouvernement propose de « geler » l’indexation d’une série de dépenses fiscales aux montants indexés qui valent pour l’exercice d’imposition 2025 et cela jusqu’à l’exercice d’imposition 2030. Il s’agit des mêmes montants que ceux pour lesquels l’indexation avait été gelée pour les exercices d’imposition 2011 à 2014. Dans l’avant-projet de loi-programme, il s’agit des montants relatifs à la première tranche exonérée des revenus afférents aux dépôts d’épargne, des dividendes, des intérêts avec un but social et le montant des emprunts par le biais d’une plateforme de crowdfunding dont les intérêts sont exonérés. Mais aussi à la corbeille fiscale pour la réduction d’impôt pour l’épargne à long terme, aux réductions d’impôt relatives à la libération d’actions ou parts de la société employeur et pour l’épargne-pension (mais seulement à partir de l’exercice d’imposition 2027 ici pas 2026), à la réduction d’impôt pour les dépenses faites en vue d’acquérir un véhicule électrique, à la réduction d’impôt pour les dépenses consacrées à un fonds de développement, à la réduction d’impôt pour libéralités (les dons), à la réduction d’impôt pour des habitations basse énergie, passives ou zéro énergie. Liste non exhaustive. À partir de l’exercice d’imposition 2031, ils seront à nouveau indexés, sans rattrapage de l’indexation sautée.
6. Les dons, moins déductibles
Le projet d’avant-loi programme prévoit que les dons d’au moins 40 euros à des associations caritatives reconnues voient leur réduction d’impôt abaissée de 45 à 30 % dès l’exercice d’imposition 2026 (dès cette année de revenus donc), ce qui va dès lors grever lourdement leurs financements. La lutte contre le cancer, la fondation Roi Baudouin, les Restos du coeur, Croix-Rouge, Médecins sans frontière,.. de milliers d’associations sont concernées.
7. La bonne foi remise en selle
Il est de tradition que l’administration fiscale applique systématiquement une amende administrative en cas de retard (10 %), même minime, dans le dépôt des déclarations fiscales. Cette sanction est en outre assortie d’une impossibilité de déduire les pertes fiscales de la société, ce qui oblige les sociétés à payer un impôt qui peut s’avérer parfois très élevé. Pour nombre de sociétés, cette sanction peut créer un réel préjudice car cela pénalise leur trésorerie. Les tribunaux avaient sanctionné l’attitude de l’administration fiscale qui punissait ainsi sévèrement des erreurs ou infractions commises de bonne foi. L’avant-projet de loi-programme va changer cela : ceux qui commettent une première erreur et qui sont de bonne foi ne recevront plus de majoration automatique de l’impôt de 10 %. La présomption de bonne foi est réfutable par l’administration fiscale. Une deuxième erreur dans les 3 ans ne sera cependant pas admise…
8. Régularisation fiscale
En concertation avec les Régions, une nouvelle régularisation (para) fiscale permanente, plus stricte, est élaborée avec une augmentation des taux à 30 % et 45 %, sauf pour les contribuables pouvant démontrer leur bonne foi. Censée rapportée 75 millions d’euros par an, la nouvelle régularisation fiscale permanente s’appuiera en grande partie sur celle qui était d’application entre 2016 et 2023. Les contribuables souhaitant régulariser un capital fiscalement expiré paieront une pénalité de 45 % sur le capital. Pour les capitaux fiscalement non prescrits, la pénalité est de 30 %, à laquelle s’ajoute bien sûr l’impôt éludé. Une exception est prévue dans l’accord gouvernemental pour les contribuables pouvant prouver leur « bonne foi ». Comme l’explique Denis-Emmanuel Philippe, « l’avant-projet de loi définit de manière fort stricte cette exception, puisqu’elle serait limitée essentiellement aux revenus/capitaux non déclarés (fiscalement prescrits ou non) obtenus par une personne qui reçoit un héritage, un leg ou une donation« . Y aura-t-il un prélèvement à payer si la bonne foi est avérée, ou bien échappe-t-on à tout prélèvement ? Selon l’avant-projet de loi, le déclarant bénéficiera d’une diminution de la majoration de 5 points. Comme l’explique l’avocat fiscaliste, « ceci revient à appliquer, en cas de bonne foi, les anciens taux applicables sous la régularisation précédente (DLU quater), soit 25% pour les revenus non fiscalement prescrits, et 40% pour les capitaux fiscalement prescrits)« . On notera au passage que certains délais d’investigation du fisc sont raccourcis. Exemple : « concernant les délais d’établissement de l’impôt en cas de fraude fiscale, ce dernier est également raccourci et passe de 10 ans à 7 ans« , dit le projet de loi-programme.
9. Cryptommonnaies dans le viseur
L’accord de coalition fédérale du 31 janvier 2025 prévoit que »Des efforts supplémentaires sont consentis en matière de datamining et de détection des risques au travers d’investissements dans les moyens informatiques. Un cadre juridique sera également créé pour l’utilisation des données provenant du PCC (au sein de la Banque nationale, NdlR) dans le cadre du datamining anonyme en vue de la sélection des dossiers. Les comptes de crypto-monnaies devront également être notifiés au PCC. De plus, le gouvernement intégrera les données financières d’origine étrangère qui ont déjà été reçues automatiquement par l’administration dans le PCC, ainsi que les comptes de joueurs de jeux de pari en ligne dépassant 10 000 euros. D’autres informations seront également intégrées au maximum dans le PCC pour permettre le datamining« . Bref, l’étau se resserre. Ce qui ne fera que se confirmer davantage quand la taxation des plus-values sur actifs financiers sera d’application, car les cryptomonnaies seront aussi concernées.
Journaliste François Matthieu
Lire aussi l’ article dans La Libre