La Libre: ‘Qui devra payer la future taxe sur les plus-values? « Elle va viser très large »‘.

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jeudi, 30 janvier, 2025

Cette taxe, initialement prévue de 10 % mais à présent réduite à 5 %, devrait s’appliquer sur la plupart des actifs financiers. Mais elle risque de mettre les contribuables à rude épreuve.

C’est la dernière ligne droite pour les négociateurs de l’Arizona. S’ils trouvent un accord dans les jours qui viennent, il comprendra un important chapitre fiscal. Et on sait déjà que le capital devrait être davantage taxé, notamment via deux mesures qui toucheraient de nombreux contribuables : un, l’augmentation (de 0,15 % à 0,25 % par an) de la taxe qui frappe les comptes-titres d’une valeur de plus de 1 million d’euros ; deux, l’instauration d’une nouvelle taxe (de 5 %) sur les plus-values mobilières. Mais à quoi va ressembler cette dernière et qui va-t-elle frapper ? Réponses.

1. Quels sont les actifs concernés ?

Cette taxe, initialement prévue de 10 % mais à présent réduite à 5 %, devrait s’appliquer sur la plupart des actifs financiers. « Le but est de viser le plus large possible, indique l’avocat Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law). Devraient être concernés les actions, cotées en Bourse ou non, les fonds de placement et sicav, les investissements via des ETF (fonds répliquant des indices boursiers négociés en Bourse, NdlR), les cryptomonnaies, ainsi que vraisemblablement les produits d’assurance-vie (Branches 21 et 23) qui sont actuellement défiscalisés ». Sans oublier les plus-values réalisées à la suite de la revente d’une participation substantielle dans une société non cotée en Bourse.

2. Quand sera-t-on taxé ?

Seules les plus-values « réalisées » seront taxées. Les plus-values « latentes » ne le seront pas. « Ce n’est pas parce qu’un titre ou une part dans un fonds prend de la valeur que cela donnera lieu à taxation. Le fait générateur de l’imposition est la réalisation effective d’une plus-value. La taxation n’aura ainsi lieu que lors de la sortie de l’investissement : quand on revend une action d’une société, quand on réalise un portefeuille… Et la base taxable sera la plus-value, c’est-à-dire la différence (positive) entre le prix de vente et le prix d’achat majoré, le cas échéant, de certains éléments, indique l’avocat Grégory Homans (Dekeyser&Associés). Parfois, cela sera relativement simple à établir mais souvent… très compliqué. Ainsi, si quelqu’un achète des actions d’une même société à des périodes différentes et à des cours différents, par exemple en 2026 et 2027, et en revend une partie par la suite, quelle sera la valeur prise en compte pour déterminer le prix d’achat des titres qu’il revend ? Va-t-on utiliser la méthode FIFO (First In, First Out) ou LIFO (Last In, Last Out) ? Rien n’est précisé à ce sujet ».

3. Quelles sont les exonérations prévues ?

Il y en a plusieurs. D’abord, l’exonération des plus-values « historiques » : on ne prendra pas en compte les plus-values réalisées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle taxe. « Pour tous les actifs acquis auparavant, la valeur prise en compte dans le cadre de la détermination de la plus-value sera la valeur du titre lors de l’entrée en vigueur de la taxe (et non sa valeur d’acquisition) », précise Grégory Homans.

Une exonération générale est aussi prévue, jusqu’à un montant de 6 000 euros par an. « Il s’agit d’un montant important, même s’il a été revu à la baisse par rapport à une version antérieure de la super-nota qui évoquait un panier exonéré de 10 000 euros », selon Denis-Emmanuel Philippe.

Par ailleurs, les moins-values éventuelles seront déductibles. « Mais uniquement des plus-values imposables sur les actifs financiers, et donc pas, par exemple, de revenus professionnels. Par ailleurs, il n’y a pas de report. Ce qui signifie que si l’on subit une lourde perte sèche sur son portefeuille-titres au cours d’une année, il n’est pas possible de déduire cette perte sur des plus-values sur titres réalisées lors d’une année ultérieure », signale l’avocat de Bloom.

4. Banques ou contribuables, qui va devoir « faire le travail » ?

C’est la grande question. Certains responsables politiques auraient voulu que le boulot soit entièrement pris en charge par les banques, comme elles le font déjà pour la taxe sur les comptes-titres qu’elles perçoivent et transmettent au fisc. Mais cela ne sera sans doute pas possible en l’espèce. « Prenez l’exemple d’un contribuable ayant des comptes dans plusieurs banques : que se passera-t-il si une plus-value est réalisée dans une banque X et une moins-value subie dans une banque Z ? Deux options semblent envisageables. La première : chaque banque communique un relevé reprenant plus-values et moins-values au contribuable, qui réalise les calculs ainsi que la consolidation requise et qui reprend la plus-value ainsi définie dans sa déclaration fiscale. La seconde : les banques adressent leur reporting directement aux autorités fiscales, qui effectuent la consolidation requise et qui impose, sur cette base, la plus-value requise. Indépendamment de l’option qui sera retenue, tout cela promet pas mal de discussions avec les contrôleurs fiscaux… », imagine Grégory Homans.

In fine, ce sera donc sans doute au contribuable lui-même de tirer son plan, de calculer sa plus-values imposable et de l’indiquer dans sa déclaration. Certains experts n’hésitent donc pas à évoquer « un futur casse-tête pour de nombreux contribuables ». Ceci dit, la charge administrative s’annonce également très lourde dans les banques – qui devront établir des relevés annuels des plus-values et moins-values de leurs clients.

5. À partir de quand ?

Un doute subsiste quant à l’entrée en vigueur de cette taxe – pour autant que le gouvernement De Wever soit constitué. Elle pourrait s’appliquer dès l’exercice (2025) en cours, ce qui, juridiquement, ne serait pas concerné comme rétroactif. Mais il reste tellement de questions ouvertes sur ses modalités pratiques que certains avocats estiment qu’il serait plus prudent d’attendre au moins 2026 pour la mettre en place.

6. Et la spéculation ?

Il n’est pas tout à fait exact de dire qu’aucune taxe sur les plus-values n’existe au stade actuel en Belgique. Les plus-values peuvent déjà être taxées en cas de spéculation détectée par le fisc. « Le Code des impôts sur les revenus (article 90 9°) permet déjà de taxer à 33 % (« revenus divers ») les cessions d’actions quand elles ne relèvent pas de la gestion normale d’un patrimoine privé. Un tel caractère ‘spéculatif’ peut se déduire de certains éléments, comme le délai entre l’achat et la vente d’un titre, le mode de financement utilisé, la répétition de ce genre d’opérations, etc. », explique l’avocat Thierry Litanie (Law Tax).

« Par exemple, si je suis tous les soirs pendant 2 heures sur une plateforme d’une banque en ligne et que je boursicote, je risque d’être taxé. Mais cela se fait à la tête du client et cela engendre un flou absolu car aucun paramètre objectif ne définit la gestion ‘normale’ d’un patrimoine privé », poursuit-il.

« Quelle sera la place de la nouvelle taxe dans le paysage fiscal belge ? Pour répondre à cette question, il conviendra de déterminer la manière dont elle s’articulera avec l’actuelle taxation de ces plus-values spéculative au taux de 33 % », remarque Grégory Homans.

7. Le taux pourrait-il évoluer ?

Les experts le reconnaissent : la nouvelle taxe est un « trophée » pour certains mais son taux est très faible – ailleurs en Europe, les plus-values sont taxées entre 20 % et 30 %. Et elle ne rapportera sans doute pas grand-chose, vu les importantes exonérations. Mais pour l’avenir ? « Ce qui est sûr, c’est qu’un un cap va être franchi : on en aura fini avec ‘l’absence de taxation des plus-values en Belgique’. Et rien ne dit que, sous de prochains gouvernements, le taux de cette taxe ne pourrait pas être revu à la hausse, comme cela s’est passé en son temps pour le précompte mobilier, initialement fixé à 15 % et dont le taux n’a cessé d’augmenter pour atteindre jusqu’à 30 % », avertit Grégory Homans. Un contribuable averti en vaut deux.

Journaliste Nicolas Ghyslain 

Lire aussi l’ article de Denis-Emmanuel Philippe dans La Libre 

La Libre Belgique.DenisEmmanuel Philippe

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