L’ Echo: ‘Dividendes français: voici les effets du mea culpa du fisc’

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jeudi, 13 mars, 2025

Le fisc accepte enfin de limiter l’impôt sur les dividendes français. Voici les réponses aux principales questions qui découlent de cette décision historique.

De nombreux investisseurs belges ayant perçu des dividendes français ces dernières années vont pouvoir se faire rembourser une partie du précompte mobilier belge. C’est la conséquence de la nouvelle position adoptée par l’administration fiscale dans ce dossier. Toutefois, des paramètres importants doivent être pris en considération.

De quoi s’agit-il?

Pendant des années, les Belges actionnaires de sociétés françaises ont subi une double imposition: une retenue à la source était pratiquée par la société française concernée, au profit de l’État français, puis le montant résiduel était soumis au précompte mobilier belge, généralement retenu, en Belgique, par la banque de l’investisseur.

La convention franco-belge préventive de double imposition prévoit qu’une quotité forfaitaire d’impôt étranger (QFIE), égale à 15% du montant dit « net frontière », c’est-à-dire après application du précompte français, doit être déduite de l’impôt belge.

En 1988, la Belgique a supprimé la notion de QFIE de sa législation nationale, si bien que le fisc a considéré qu’il n’y avait plus lieu de déduire cette part forfaitaire d’impôt français. Toutefois, les cours et tribunaux belges, jusqu’à la Cour de cassation, ont considéré à de nombreuses reprises que la mention de la QFIE dans la convention franco-belge suffisait à obliger l’État belge à en tenir compte.

L’administration fiscale s’est encore montrée récalcitrante en estimant que la QFIE ne pouvait s’appliquer que si les dividendes français avaient été mentionnés par les contribuables dans leur déclaration fiscale. Ce qui était rarement le cas, puisque le précompte mobilier est libératoire, ce qui dispense de déclarer ces revenus. Ici encore, la Cour de cassation est venue à la rescousse du contribuable. Si bien que le fisc vient de baisser pavillon et de reconnaître que la QFIE devait bien être déduite de l’impôt belge, même en l’absence de mention des dividendes dans la déclaration fiscale.

Qui est concerné?

« Des centaines de contribuables avaient introduit un recours en justice en vue d’obtenir un remboursement du précompte prélevé sur des dividendes reçus durant la période allant de 2012 à fin 2019 », explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law. « Ces contribuables vont pouvoir tirer profit de ce revirement de l’administration. Sont ici généralement visés les investisseurs belges qui ont perçu leurs dividendes sur un compte belge, avec application du précompte mobilier libératoire, et qui n’ont pas renseigné leurs dividendes dans leur déclaration fiscale. »

Selon ce spécialiste de la fiscalité, le fisc devrait désormais être disposé à signer des conclusions d’accord dans les procédures judiciaires en cours, ce qui débouchera sur un remboursement de la QFIE.

Quid si les dividendes ont été perçus sur un compte à l’étranger?

Si les dividendes français n’ont pas été perçus sur un compte bancaire belge, le précompte mobilier n’a pas été retenu et l’impôt belge n’a été appliqué qu’après mention des dividendes dans la déclaration fiscale. Ensuite, « pour obtenir le remboursement de la QFIE, les contribuables en question ont dû passer par la procédure assez rigide du dégrèvement d’office », explique Me Philippe. « Le problème est que, pour pouvoir introduire pareille procédure avec succès, il faut pouvoir prouver que la double imposition trouve sa source dans un double emploi ou un fait nouveau. »

Le fisc pourrait se montrer réticent à cet égard: dans une circulaire de 2021, il considérait, malgré les décisions de la Cour de cassation favorables aux contribuables, que ces conditions n’étaient pas réunies. Le revirement en matière de QFIE changera-t-il la donne? « Le fisc acceptera-t-il de rembourser la QFIE aux contribuables qui ont introduit pareille demande de dégrèvement d’office? Cela ne me paraît pas totalement clair », dit Denis-Emmanuel Philippe. « On peut en tout cas espérer que tel sera le cas. »

Que faut-il prouver en justice?

Le changement de position du fisc n’implique pas que toutes les procédures judiciaires en cours en matière de dividendes français tourneront à l’avantage des contribuables. Ainsi, certains justiciables pourraient se heurter à des difficultés en matière de preuve.

« Lorsque le contribuable n’est pas en mesure de prouver que ses dividendes de source française ont effectivement subi la retenue à la source en France, la QFIE ne devrait pas pouvoir lui être remboursée », avertit Denis-Emmanuel Philippe. Il s’agit donc, pour les investisseurs concernés, de produire des documents attestant cette retenue de l’impôt français. Le fisc ne manquerait pas de se montrer procédurier… « Il y a pas mal de procédures en cours concernant ce problème de preuve », signale Me Philippe.

La décision du fisc peut-elle s’étendre à des dividendes italiens et allemands?

« On peut espérer que l’administration adopte une approche similaire pour des dividendes de source italienne », estime Denis-Emmanuel Philippe. « La disposition pertinente de la CPDI (convention préventive de double imposition, NDLR) belgo-italienne est, en effet, libellée de manière similaire à celle de la CPDI belgo-française. » De plus, « la jurisprudence récente a déjà contraint l’État belge à rembourser la QFIE pour des dividendes de source italienne », précise l’avocat.

Pour les dividendes allemands, l’espoir est plus mince, car la CPDI belgo-allemande n’est pas formulée dans les mêmes termes. La décision de 2022 favorable à un contribuable à ce sujet risque d’être retoquée en appel.

La double imposition franco-belge est-elle définitivement écartée?

Malheureusement pour les investisseurs belges, les règles actuelles qui permettent d’imputer une QFIE française sur le précompte belge sur les dividendes français sont appelées à disparaître. En effet, la Belgique et la France ont récemment conclu une nouvelle convention préventive de double imposition, où la notion de QFIE ne se retrouve plus.

Par conséquent, dès l’entrée en vigueur de ce nouveau traité bilatéral, on retrouvera une situation de double imposition complète sur les dividendes français versés à des Belges. Les investisseurs disposent tout de même d’un petit répit: selon les fiscalistes, la nouvelle convention ne devrait pas entrer en vigueur avant 2026 ou 2027.

Journaliste Philippe Galloy

Lire aussi l’ article dans L’ Echo

 

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