L’ Echo: Le rendement budgétaire de l’exit tax remis en question

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lundi, 19 mai, 2025

Selon la Cour des comptes, l’exit tax ne rapportera rien cette année, alors que le gouvernement table sur 25 millions d’euros. Et d’autres incertitudes planent.

Sanctionner les actionnaires de sociétés qui quittent la Belgique ne sera sans doute pas payant. Le rendement de la nouvelle « exit tax » envisagée par le gouvernement De Wever est remis en question par le rapport de la Cour des comptes sur le budget 2025, publié vendredi à la Chambre. De plus, les recettes futures escomptées pourraient souffrir de la tendance à la baisse des expatriations d’entreprises belges. Le SPF Finances s’interroge aussi sur le comportement que pourraient adopter les sociétés visées en réaction à cette mesure.

Pour renflouer le budget de l’État, l’exécutif fédéral compte créer un tout nouvel impôt applicable lors du transfert du siège d’une société hors des frontières du Royaume. Pour les besoins de cette « exit tax », on considère, par une fiction légale, que l’entreprise qui s’exile est liquidée et que toutes ses réserves sont distribuées à ses actionnaires: ce dividende fictif est alors soumis au précompte mobilier de 30%. D’après les tableaux budgétaires, ce futur impôt, censé s’appliquer à partir du 1er juillet, devrait rapporter 25 millions d’euros cette année, puis 50 millions d’euros par an ensuite.

Cette estimation est trop optimiste, souligne la Cour des comptes, sur base de données du service public fédéral des Finances. « Le SPF Finances estime les recettes annuelles à 17,4 millions d’euros, mais précise que cette estimation connaît des limites importantes et est donc hautement incertaine », indique la Cour. « Il souligne également que le montant peut fluctuer fortement d’une année à l’autre. »

De plus, les 25 millions espérés en 2025 risquent d’être réduits à néant, prévient la Cour des comptes. En effet, comme l’exit tax repose sur une fiction légale, il n’existe pas de distribution effective de dividendes: ce n’est que l’année suivante que ces dividendes fictifs, après avoir été déclarés obligatoirement par leurs bénéficiaires, seront soumis à l’impôt. « Cette mesure ne pourra générer des recettes qu’à partir de 2026 », conclut la Cour des comptes. « Le rendement de cette mesure est donc surestimé de 25 millions d’euros dans le projet de budget pour 2025. » Le raisonnement est simple: pas de revenu (mobilier), pas d’impôt.

De plus, les recettes escomptées par le Fédéral pour l’exit tax pourraient souffrir d’une érosion de la base imposable. Pour que cet impôt rapporte, il faut que des entreprises déplacent leur siège hors du Royaume. Or, c’est de moins en moins souvent le cas. C’est ce que montrent les chiffres d’une autre exit tax, déjà applicable à l’impôt des sociétés, et non à l’impôt des personnes physiques comme le prévoit la nouvelle taxe du gouvernement fédéral. Quand une entreprise transfère son siège à l’étranger, ses plus-values latentes subissent l’impôt des sociétés, au taux de 25%.

Or, ce régime fiscal a généré de moins en moins de recettes depuis 2020, notamment parce que le nombre de sociétés concernées a baissé (voir infographie). Lors de l’exercice d’imposition 2023, seules 37 sociétés avaient déplacé leur siège à l’étranger, contre 80 trois ans plus tôt. Ces expatriations d’entreprises ont généré 52 millions d’euros d’impôts en 2023, un montant en baisse constante en trois ans.

Et cette tendance pourrait bien continuer. « Ce sont plutôt les immigrations qui sont à la mode, pas les émigrations; je le constate très souvent dans ma pratique », confie l’avocat Denis-Emmanuel Philippe, associé au cabinet Bloom Law. « Le gouvernement fait tout pour attirer des constructions juridiques vers la Belgique. Il devient casse-cou d’avoir des structures patrimoniales à l’étranger. Si l’exit tax (prévue par le Fédéral, NDLR) est adoptée en l’état, cette tendance va s’intensifier. »

Comment réagiront les sociétés?

D’autres incertitudes planent sur le rendement budgétaire de l’exit tax. Ainsi, son effet dissuasif pourrait réduire le nombre de sociétés taxables. Interrogé à ce sujet, le SPF Finances signale que « le service d’études (département du SPF Finances chargé des travaux préparatoires dans le domaine des finances publiques, NDLR) a tenté, comme c’est le cas pour toutes les mesures, de prendre en compte les potentielles réactions comportementales des entreprises, bien que cela soit extrêmement difficile. »

« Il n’existe actuellement pas de données suffisamment précises pour estimer l’impact de ce genre de mesure », précise le SPF Finances. « Par conséquent, la prise en compte des potentielles adaptations de comportement des sociétés impactées ne peut pas être quantifiée. »

En résumé, si l’exit tax survit au récent avis très critique du Conseil d’État, elle risque, dans la pratique, de se fracasser contre la réalité des chiffres.

Journaliste Philippe Galloy 

Lire aussi l’article dans L’ Echo 

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