Le bénéfice du régime fiscal favorable des RDT risque d’échapper à pas mal d’entreprises à cause de l’ajout d’une condition sur les immobilisations financières.
Surprise dans la réforme des revenus définitivement taxés (RDT) des entreprises. Alors que l’accord de gouvernement se montrait relativement clément dans les nouvelles règles envisagées pour ce régime fiscal d’exception, il s’avère finalement qu’une condition très contraignante rendra les RDT bien moins accessibles qu’auparavant dans de nombreux cas. Cette nouvelle exigence inattendue risque de pénaliser des sociétés holdings patrimoniales, mais aussi des banques et des compagnies d’assurances.
Le régime RDT concerne des groupes détenant une ou plusieurs filiales, mais aussi des holdings familiaux ayant des participations dans une ou plusieurs sociétés opérationnelles. En gros, dès qu’une société investit dans une autre à concurrence d’un montant significatif, ce régime peut trouver à s’appliquer.
Ce régime fiscal prévoit que lorsqu’une société mère perçoit les dividendes des actions d’une filiale, elle bénéficie d’une déduction de ces revenus à l’impôt des sociétés. Cela permet d’éviter que les bénéfices de la filiale, déjà taxés à l’impôt des sociétés, soient taxés une seconde fois au niveau de la société mère. C’est pourquoi on parle de « revenus définitivement taxés ». Bien entendu, si la société mère distribue elle-même des dividendes à ses actionnaires personnes physiques, ceux-ci subiront le précompte mobilier (30% en Belgique). Le régime RDT vise donc à éviter une double taxation à l’impôt des sociétés.
Encore faut-il que l’on soit effectivement en présence de sociétés véritablement liées via des prises de participations importantes. Car si une société acquiert des actions uniquement à des fins d’investissement, elle est considérée comme titulaire d’un placement et non comme détentrice d’une filiale. Elle sera alors taxée sur les revenus de ce placement.
Le seuil reste à 2,5 millions d’euros
C’est pourquoi la loi prévoit des conditions pour qu’une société puisse bénéficier du régime RDT, c’est-à-dire de la déduction des revenus d’actions d’une filiale. Il faut que la société détienne au moins 10% de la filiale ou, dans le cas contraire (moins de 10%), que sa participation ait une valeur d’au moins 2,5 millions d’euros.
Dans son accord de coalition, le gouvernement De Wever avait prévu de durcir cette dernière condition: il était question de porter le seuil de participation à 4 millions d’euros et de prévoir que, pour pouvoir accéder au régime RDT, toute participation de moins de 10% mais d’au moins 4 millions d’euros entre grandes sociétés devrait être comptabilisée en immobilisation financière. Cette exigence ne devait donc, à l’origine, pas concerner des participations dans de petites sociétés.
Finalement, exit l’augmentation du seuil à 4 millions d’euros: la condition de participation restera de 2,5 millions d’euros (ou d’au moins 10%). Par contre, d’après l’avant-projet de loi-programme que nous avons pu consulter, la comptabilisation de la participation en tant qu’immobilisation financière sera désormais requise pour toutes les grandes sociétés au sens du code des impôts sur les revenus (CIR), même si leur filiale est une petite société. C’est très différent d’imposer cela uniquement entre grandes sociétés. D’après l’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe, associé chez Bloom Law, cette nouveauté est « un game changer ».
Une société est considérée comme « grande » dès lors qu’elle dépasse, sur une base consolidée, à la date du dernier exercice clôturé, plus d’un des critères suivants:
- nombre de travailleurs en moyenne annuelle: 50;
- chiffre d’affaires annuel hors TVA: 11.250.000 euros;
- total du bilan: 6.000.000 euros.
Comme l’explique Denis-Emmanuel Philippe, « aussitôt qu’une société coche deux critères (par exemple, plus de 11,25 millions d’euros de chiffre d’affaires et bilan de plus de 6 millions, NDLR) sur une base consolidée, ses participations de plus de 2,5 millions d’euros devront être comptabilisées comme immobilisation financière pour être éligibles aux RDT. L’avant-projet va donc plus loin que l’accord gouvernemental, qui limitait l’application de cette nouvelle condition d’immobilisation financière aux participations détenues par des grandes sociétés dans d’autres grandes sociétés. »
Holdings patrimoniales touchées de plein fouet
Voici un exemple. Une grande société holding détient des actions d’une start-up technologique, qui est une petite société. La participation n’atteint pas 10% du capital de la start-up mais a une valeur d’acquisition de plus de 2,5 millions d’euros. Si la start-up distribue un dividende à sa société holding actionnaire, celui-ci ne sera exonéré en tant que revenu définitivement taxé que si la participation dans la start-up est comptabilisée comme immobilisation financière dans les comptes de la holding. Si la participation est comptabilisée en tant que placement de trésorerie, le régime RDT n’interviendra pas.
Quelles seront les sociétés affectées par cette modification? « L’ajout d’une condition de comptabilisation au titre d’immobilisation financière touchera en plein cœur de nombreuses holdings patrimoniales, cotées ou non, qui ne sont pas « petites » et qui investissent dans des portefeuilles d’actions cotées composés de lignes d’investissements de plus de 2,5 millions d’euros », explique Me Philippe. « Le régime RDT tombera à l’eau à cause de cette nouvelle condition d’immobilisation financière. En effet, une participation inférieure à 10% dans une société cotée atteignant plusieurs millions d’euros pourrait parfaitement se voir refuser la qualification d’immobilisation financière, dès lors qu’elle ne conférerait pas de lien durable et spécifique ou ne permettrait pas de développer l’activité propre de la société holding. »
Selon ce spécialiste, le nouveau régime RDT risque aussi d’échapper, dans nombre de cas, à des entreprises du secteur financier. « Outre les holdings patrimoniales, les établissements de crédit (banques, NDLR) détenant à l’actif de leur bilan des portefeuilles de placement pourraient aussi être lourdement impactés par cette mesure », précise Denis-Emmanuel Philippe. « Idem pour les compagnies d’assurance. »
L’ajout de la condition de comptabilisation des participations en immobilisations financières risque donc de priver nombre d’entreprises du bénéfice du régime fiscal des RDT.
Avis du conseil d’État
Le Conseil d’État a récemment rendu son avis sur l’avant-projet de loi qui réforme le régime RDT. Le durcissement de la condition minimale de participation dans une filiale, pour bénéficier de ce régime, est-il compatible avec la directive mères-filiales? Le Conseil d’État émet des doutes à cet égard. Selon lui, cette directive autorise le législateur à prévoir une condition de durée quantitative, comme la conservation de la participation pendant une année, ou une condition de participation (par exemple, 10% ou 2,5 millions d’euros).
« Mais le Conseil d’État se demande si, outre ces conditions, d’autres conditions, plus qualitatives, peuvent être introduites », souligne Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law). « Le Conseil d’État fait ici référence à l’introduction de la condition de comptabilisation de la participation en immobilisation financière. »
Selon Me Philippe, il n’est pas totalement exclu qu’un recours en annulation soit introduit par de grandes sociétés holdings, des institutions financières ou des compagnies d’assurances affectées par cette modification. « Mais les chances de succès me semblent très minces », estime-t-il.
Journaliste Philippe Galloy
Lire aussi l’ article dans L’ Echo