La Libre: L’exit tax, ou « l’art discret de décourager l’audace »

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vendredi, 27 juin, 2025

Cette nouvelle taxe toucherait les personnes physiques souhaitant changer de pays de résidence (fiscale), dans le cadre de la taxation des plus-values. « Cela pourrait en inciter beaucoup à partir vite », juge le professeur d’ économie Roland Gillet.

Parmi les nouvelles taxes qui s’invitent dans le débat public, il en est une dont on parle peu, et pourtant… Il s’agit de l' »exit tax », ou « taxe de sortie ». Officiellement, il s’agit de dissuader les entreprises belges de transférer leur siège social hors des frontières. En clair : faire payer cher le départ de capitaux jugés trop prompts à s’exiler. Dans son premier volet, elle s’annonçait à 30 %, soit le même taux que le précompte mobilier.

Dans son second volet, l' » exit tax » toucherait les personnes physiques souhaitant changer de pays de résidence (fiscale) et qui devraient dès lors s’acquitter de la nouvelle taxe sur la plus-value de 10 % sur leurs avoirs mobiliers par rapport à leur évaluation au 1er janvier 2026. Et cela, même si ces plus-values restent purement fictives puisque non réalisées. Mais derrière ce second volet associé à l’instauration d’une taxe sur les plus-values, certains voient une autre logique. « Ces mesures constituent aussi une taxe sur le courage et l’audace des investisseurs. On la fait peser sur ceux qui prennent des risques avec leurs propres deniers dans une période particulièrement incertaine durant laquelle il faudrait plutôt les soutenir », déplore Roland Gillet, professeur d’économie financière à la Sorbonne (Université Paris 1) ainsi qu’à l’ULB (Solvay), et conseiller auprès de différentes autorités publiques et privées. Une critique qui n’est pas innocente, à l’heure où les discours officiels louent l’innovation, mais où les mesures concrètes semblent s’en éloigner.

Une mécanique paradoxale

Roland Gillet ne nie pas la gravité de la situation budgétaire actuelle. Il comprend même qu’il faille trouver certaines recettes, au-delà de la seule (même si difficile mais nécessaire) réduction des dépenses publiques. Mais il observe avec perplexité une mécanique paradoxale : d’un côté, on projette une taxation des plus-values à hauteur de 10 % ; de l’autre, on anticipe que certains entrepreneurs chercheront à y échapper pour ne pas que soit davantage taxé le fruit de leur travail accumulé, c’est-à-dire leur patrimoine (en plus de leur revenus déjà bien taxés). Et alors qu’ils pourraient être tentés de se tourner vers l’étranger, on tente ici de refermer le piège avec cette « exit tax » qui les attend à la frontière. « C’est un nouveau frein à l’investissement à risque, pas assez valorisé en Belgique et en Europe de manière plus générale », tranche Roland Gillet, tout en rappelant que l’accord gouvernemental promettait l’inverse : « favoriser l’entrepreneuriat », « créer un climat propice aux investisseurs nationaux comme étrangers ».

Or, pour l’instant, le respect de l’accord gouvernemental et la réalité législative semblent pour le moins distordre certaines belles intentions politiques des partis majoritaires. Roland Gillet regrette notamment que des pistes plus incitatives n’aient pas abouti en parallèle : avec une réduction du précompte à 15 % sur les dividendes des actions (capital à risque), ou un allègement voire la suppression de la taxe sur les comptes-titres. Mais il concède le fait que l’équation budgétaire, avec les dépenses supplémentaires liées à la défense et aux enjeux géopolitiques, est rendue plus complexe en situation de déficit excessif arbitré par la Commission Européenne qui remet de la pression pour une gestion responsable de nos finances publiques.

Un flou juridique et budgétaire persistant

À ce jour, l' »exit tax » est suspendue à l’avis du Conseil d’État. Comme d’autres mesures fiscales et socio-économiques (telle la réforme du chômage), la loi-programme qui les héberge attend l’issue des tractations au sein de la coalition « Arizona », où le dossier explosif de la taxation des plus-values divise les partenaires (lire en page 8).

Selon la loi-programme, le premier volet de la taxe devrait toutefois entrer en vigueur dès 2025, avec une perception effective prévue pour 2026. Comme l’explique l’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law), « cette taxation à la sortie frappe les actionnaires (particuliers ou sociétés) de sociétés belges qui transfèrent des actifs à l’étranger sous différentes formes, en particulier le transfert de siège de la société belge à l’étranger. Plus concrètement, les actionnaires sont imposés au titre de dividendes (au taux de 30% pour les personnes physiques) sur les réserves et les plus-values latentes de la société qui émigre ». Le gouvernement espère récolter 25 millions d’euros dès la première année, puis atteindre un rythme de croisière de 50 millions annuels. Mais les projections sont fragiles : une fiche budgétaire du SPF Finances évoque une incidence de 173,5 millions d’euros, tout en reconnaissant des incertitudes majeures — comportement imprévisible des entreprises, conventions internationales, sous-évaluation potentielle des actifs, ou encore utilisation possible de mécanismes d’optimisation. D’autant que, théoriquement, les entreprises peuvent étaler le paiement de cette taxe, ce qui retarderait d’autant les recettes.

Et puis, il y a la subtilité juridique : le texte résistera-t-il à l’épreuve du droit européen, notamment au principe de liberté d’établissement ? Rien n’est moins sûr. Selon Denis-Emmanuel Philippe, cette exit tax aura un effet dissuasif : les actionnaires vont réfléchir désormais à deux fois avant de transférer le siège de leur société vers d’autres cieux ! « Je comprends que les épaules les plus larges soient visées si on doit se résoudre à trouver certaines recettes additionnelles à côté de mesures significatives de réductions des dépenses. Mais il faut certainement éviter de freiner les ardeurs des gens qui travaillent et investissent leur épargne avec courage et audace, d’autant plus dans ce climat incertain, et ne pas oublier qu’ils créent de la valeur pour notre économie et sont à la base des « effets de retour » qui augmentent les recettes de l’État », insiste Roland Gillet. Ce qu’il regrette par-dessus tout, c’est « l’absence de cohérence de certaines mesures qui sont certes encore en gestation actuellement mais dont on devrait avoir bientôt la pleine étendue avec les arrêtés d’exécution détaillés. »

Journaliste François Mathieu

Lire aussi l’ article dans La Libre 

 

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