Faire passer son immobilier en société permet, dans certains cas, de réduire la charge fiscale des multipropriétaires. Mais ce n’est avantageux que pour certains profils, en fonction du patrimoine et au vu des frais et autres formalités liés à une société.
L’Arizona, désireuse de faire contribuer les épaules les plus larges à l’effort budgétaire, a mis fin à la déduction ordinaire d’intérêts fédérale à partir de cette année (revenus 2025, déclaration fiscale 2026). Sa suppression s’applique tant aux nouveaux crédits qu’à ceux en cours, bien que cela pose un problème au Conseil d’État, qui estime insuffisamment motivée l’absence de régime transitoire pour les prêts en cours.
Cet avantage fiscal – le dernier qui subsistait au profit des multipropriétaires après l’extinction en janvier 2024 du bonus logement – permettait aux propriétaires qui détiennent une ou plusieurs résidences secondaires ou biens d’investissement pour lesquels un emprunt est en cours de déduire les intérêts payés de leur base imposable et donc de réduire la taxation à l’impôt des personnes physiques (IPP).
Échapper en tout ou en partie à l’impôt
« Les intérêts de dettes contractées spécifiquement en vue d’acquérir ou de conserver des biens immobiliers qui ne sont pas une habitation propre pouvaient être déduits des revenus immobiliers imposables. Cela permettait à de nombreux multipropriétaires d’échapper (en grande partie) à l’impôt des personnes physiques sur les revenus immobiliers imposables », explique l’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe (Bloom).
Tous les crédits, et pas seulement hypothécaires, étaient éligibles, pour autant qu’ils se rapportent à l’acquisition ou à la rénovation du ou des biens concernés. Il peut donc s’agir d’un crédit à la consommation, d’un prêt rénovation, d’un prêt énergie…
Plan financier remis en question
La fin de cet avantage fiscal est non négligeable pour certains investisseurs en immobilier qui avaient pris en compte cette déduction dans leur plan financier. Elle risque de les mettre en difficulté. « Ils vont se retrouver du jour au lendemain avec une charge fiscale non budgétisée. Or, elle peut s’élever à 50% d’IPP sur les revenus immobiliers imposables », prévient l’avocat fiscaliste.
Outre la revente si le rendement est trop impacté par l’extinction de l’avantage fiscal, une autre piste consiste à structurer son immobilier en société. « Bon nombre de clients nous posent la question de savoir si cela en vaut la peine », indique Brixius Kell, director tax & legal chez Grant Thornton. La réponse n’est pas aussi évidente qu’il y paraît et dépend de plusieurs paramètres, dont l’étendue et de la nature du patrimoine immobilier.
1) Isoc ou IPP?
En structurant son immobilier en société, l’investisseur sera soumis à l’impôt des sociétés (Isoc), dont les taux sont moins élevés que ceux de l’impôt des personnes physiques (IPP). « Le taux d’imposition peut alors passer de 50%, le taux le plus élevé à l’IPP, à 25% à l’Isoc (20% dans certains cas, NDLR), mais la différence, en matière d’imposition, se trouve surtout dans le calcul de la base taxable », détaille Brixius Kell.
De fait, à l’IPP, les immeubles que vous donnez en location résidentielle sont imposés sur la base du revenu cadastral indexé (RC) de l’habitation louée, majoré de 40%. Vous êtes imposé sur ces revenus aux taux progressifs, dont le taux le plus élevé est à 50%. « Le revenu taxable sur cette base reste en général nettement inférieur aux loyers réellement perçus, qui sont, eux, la base taxable à l’Isoc. Il convient néanmoins de prendre en compte les frais tels que les amortissements, les intérêts, les petits travaux, qui sont en principe déductibles dans le cadre de l’Isoc… », analyse le fiscaliste.
Par exemple, pour une maison située en périphérie de Bruxelles, achetée au prix de 600.000 euros et louée 2.000 euros/mois, la différence de charge fiscale totale annuelle (impôts + précompte immobilier) entre l’ancien régime (avec déduction d’intérêts), le nouveau régime (suppression de la déduction d’intérêts) et la taxation en société se chiffre à quelque 2.000 euros (voir exemple ci-dessous).
La base taxable est nettement plus élevée en société, puisqu’il s’agit des loyers bruts, soit 2.000 euros x 12 mois pour un total de 24.000 euros, alors qu’elle s’élève à un peu moins de 4.000 euros à l’impôt des personnes physiques, calculée sur la base d’un revenu cadastral indexé de 2.699 euros majoré de 40%.
Mais en déduisant les intérêts, amortissements et frais, la base taxable retombe à « seulement » 1.504 euros en société. Dans l’ancien régime fiscal, autrement dit si les intérêts étaient toujours déductibles, elle serait moins élevée à l’impôt des personnes physiques, la déduction d’intérêts annulant en effet cette base imposable.
Par contre, si l’immeuble en question est un bureau, un commerce ou tout simplement un bien loué à des fins professionnelles et dont les loyers sont déduits, il est nettement plus intéressant de passer en société. De fait, la base imposable de départ étant identique (loyers bruts) en société ou en personne physique dans ce cas de figure, alors que l’impôt est de 25% en société et 50% à l’IPP, la charge fiscale est nettement plus élevée dans le second cas. La charge fiscale, avec ce même exemple, s’élève à plus de 11.400 euros à l’IPP contre seulement 1.485 euros en société.
Lorsqu’on prend en compte tous les frais liés à la constitution et à la gestion d’une société, « un propriétaire-bailleur de deux ou trois commerces aura rapidement intérêt à passer en société, alors que pour du résidentiel, on estime que cela devient intéressant à partir de cinq ou six unités », recommande Brixius Kell.
2) Comment passer en société?
Outre les frais et les démarches classiques nécessaires à la constitution d’une société (business plan, acte notarié…), « si vous placez des biens résidentiels dans une société, il faudra vous acquitter de 12,5% de droits d’enregistrement (12% en Région flamande), car la société achète l’immeuble, mais dans le cas du non-résidentiel, le taux tombe à 0% en cas d’apport rémunéré par l’émission d’actions. Vous devez payer le droit fixe général de 50 euros », pose l’avocat fiscaliste Aurélien Bortolotti.
La société, une fois constituée, doit être enregistrée à la Banque-carrefour des entreprises (BCE) par l’intermédiaire du notaire. S’ensuit une publication au Moniteur belge. « Il faudra également prendre un comptable pour gérer les bilans, déposer les comptes annuels, le tout en suivant les règles comptables belges », conseille Brixius Kell. « C’est la société qui supporte ces frais de comptables. Ils sont déductibles fiscalement », rassure-t-il.
La société aura à son actif une immobilisation qu’elle pourra amortir durant toute la durée de vie du bien, qui est, généralement, de 33 ans pour du résidentiel.
L’immeuble va générer de l’actif, soit des rentrées financières (les loyers), « desquelles il faudra déduire les frais de gestion et l’amortissement de l’immeuble », souligne Aurélien Bortolotti. Le solde net constituera alors le bénéfice.
3) Comment préparer la succession de sa société?
Placer son immobilier en société a des implications patrimoniales et successorales. « Les droits de donation sont réduits, car l’immobilier est transformé en mobilier (les actions de la société, NDLR). Lorsque vous donnez ces actions à vos enfants, tout en enregistrant la donation, le taux s’élève à 3,3% en Région wallonne et à 3% en Régions bruxelloise et flamande », détaille l’avocat fiscaliste.
Dans le cas d’une donation immobilière, les droits de donation – qui sont encore identiques dans les trois Régions, mais une réforme est attendue pour 2028 en Région wallonne – sont progressifs en fonction du lien de parenté entre le donateur et le donataire, et selon la valeur de l’immeuble donné. Pour une donation en ligne directe (enfants, époux, cohabitants légaux), le taux d’imposition varie de 3% jusqu’à 150.000 euros puis passe à 9% jusqu’à 250.000 euros, à 18% jusqu’à 450.000 euros puis à 27% pour les montants supérieurs.
À cela s’ajoutent les frais de recherche, les formalités administratives de l’acte, les honoraires du notaire et les droits d’enregistrement calculés sur la valeur totale du bien.
L’administrateur d’une société peut également donner la nue-propriété des actions et garder l’usufruit, qui s’éteindra au moment de son décès. C’est à ce moment-là que l’héritier deviendra plein propriétaire, mais il ne paiera pas de droits de succession si la donation a été enregistrée. Par contre, si elle n’a pas été enregistrée et que le donateur décède dans un délai inférieur à trois ans en Région bruxelloise, et inférieur à cinq ans en Wallonie et en Flandre, l’héritier devra s’acquitter des droits de succession, qui sont plus élevés que les droits de donation.
En se réservant l’usufruit, l’administrateur de la société garde les pleins pouvoirs jusqu’à son décès. « Il est toujours aux commandes de la société, la gère et perçoit les dividendes. Il doit, en principe, rendre des comptes lors de l’assemblée générale annuelle où l’usufruitier et le nu-propriétaire sont présents, sauf si dans les statuts de la société il est prévu que seul l’usufruitier est présent à l’AG », détaille l’avocat fiscaliste. Le nu-propriétaire ne peut donc pas vendre un immeuble ou des parts de la société, seul l’usufruitier peut le faire tant qu’il est administrateur.
4) Comment vendre ses immeubles en société?
La vente d’un immeuble en société peut se faire de deux manières: soit le ou les immeubles sont vendus à la pièce (à la découpe), soit ce sont les parts de la société qui sont vendues.
Dans le cas d’une vente à la découpe, la société perçoit le fruit de la vente. Elle sera d’office taxée sur les plus-values, à hauteur de 25%. « Ce qui n’est pas toujours le cas pour l’immobilier soumis à l’impôt des personnes physiques. Les plus-values ne sont plus taxées si la revente a lieu au bout de 8 ans de détention; avant ce délai, le taux est de 16,5% ou de 33% », rappelle Brixius Kell. L’administrateur pourra, une fois le ou les immeubles vendus, liquider la société, opération sur laquelle il sera taxé à 30%. Cette option est coûteuse et peut prendre du temps si la durée de vente de certains immeubles s’allonge, de quoi bloquer la liquidation de la société.
« Ce taux de 30% peut être revu à 15% si vous avez mis en place des réserves de liquidation. Une réserve de liquidation permet à une PME d’affecter, tous les ans, une partie ou la totalité du bénéfice imposable à un compte distinct du passif », signale l’avocat fiscaliste Aurélien Bortolotti.
Dans le cas d’une vente des parts de la société – autrement dit les actions – l’administrateur ne liquide pas la société. Il faut donc trouver un repreneur, ce qui peut parfois prendre du temps, mais l’opération est plus facile à réaliser et moins coûteuse.
Le vendeur n’est en effet ni taxé sur la vente de ses parts ni sur les plus-values sur actions. Il faut toutefois valoriser correctement les immeubles et réaliser l’opération, ce qui nécessite d’être entouré d’un comptable et/ou d’experts.
Une fois les parts vendues, l’administrateur démissionne de son poste et un ou plusieurs nouveaux administrateurs sont nommés.
Journaliste Mathilde Ridole
Lire aussi l’ article dans L’ Echo