La Cour constitutionnelle a jugé irrecevable un recours introduit contre le régime CFC. Une mauvaise nouvelle pour les sociétés belges qui détiennent des filiales faiblement taxées à l’étranger.
C’est un coup dur pour les sociétés belges qui détiennent des filiales à l’étranger. Dans un arrêt fort attendu rendu le 15 mai dernier, la Cour constitutionnelle a déclaré non recevable un recours en annulation contre la réforme du régime CFC.
Cette réforme est contenue dans la loi‑programme du 22 décembre 2023. Le gouvernement De Croo comptait à l’époque récolter des recettes supplémentaires en resserrant le régime CFC. Selon l’avis de nombreux praticiens, le recours en annulation avait pourtant de bonnes chances d’aboutir, en particulier pour les CFC établies au sein de l’UE. Petit retour en arrière pour bien comprendre. Le terme CFC désigne les «Controlled foreign companies», c’est‑à‑dire les filiales de groupes belges situées à l’étranger. La loi prévoit une taxation des revenus passifs des CFC dans le chef de leur société mère. Sauf si la société étrangère contrôlée est dotée d’une «substance» suffisante. L’idée est de faire la distinction entre les sociétés étrangères contrôlées ayant une véritable activité économique et celles qui sont des montages artificiels.
«Remettre l’église au milieu du village».
Cette exception de «substance» a été considérablement durcie par la loi‑programme du 22 décembre 2023. «Au point que l’exception de substance est devenue dans la pratique très difficile à invoquer», résume Denis‑Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law. «Bon nombre de holdings belges détiennent, en effet, des sociétés étrangères contrôlées dotées d’une substance suffisante au regard du droit européen, mais ne sont pas en conformité avec les critères de substance très stricts prévus par la loi belge. C’est pourquoi tous les praticiens attendaient que la Cour constitutionnelle remette l’église au milieu du village», explique‑t‑il.
Pas de décision sur le fond.
Or, l’arrêt de la Cour constitutionnelle ne se prononce pas sur le fond du dossier. La Cour rejette le recours, estimant que la partie requérante – une société d’avocat – n’avait pas justifié d’un intérêt à agir. La société d’avocat avait, certes, acquis une participation de 75 % dans une SCI, une société civile immobilière de droit français, qui était susceptible de rentrer dans la définition de CFC. Mais comme la participation dans la SCI a été acquise après l’introduction du recours, la Cour n’en a pas tenu compte, rappelant qu’on ne peut créer un intérêt à agir en cours de procédure.
Or, il est trop tard pour introduire un nouveau recours en annulation devant la Cour constitutionnelle. Le délai pour introduire un recours en annulation est de six mois après l’entrée en vigueur de la loi. Celui‑ci expirait donc à la fin du mois de juin 2024.
«La compatibilité de l’exception substance avec les libertés européennes de circulation était une pièce maîtresse du recours. Si la Cour constitutionnelle avait statué sur le fond, elle aurait vraisemblablement posé une question préjudicielle devant la Cour européenne de Justice», estime Denis‑Emmanuel Philippe.
Perspectives d’avenir
Résultat des courses: l’administration fiscale va continuer à appliquer le régime CFC de façon restrictive, en s’appuyant sur la loi‑programme du 22 décembre 2023.
Il est peu vraisemblable que le législateur change sa copie pour mettre l’exception de substance à l’heure européenne. Il est vrai qu’une version de la «supernota» de Bart De Wever prévoyait la mise en conformité de «l’exception substance» au droit européen et à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Mais ce point n’a pas été retenu dans l’accord gouvernemental.
«En pratique, les sociétés belges qui entendent contester l’application du régime CFC en se fondant sur son incompatibilité avec la liberté de circulation au sein de l’Union ne devraient pouvoir le faire qu’à l’occasion de la contestation judiciaire de l’imposition qu’elles auraient subie pour cause de non-respect des conditions de l’exception de substance. Elles pourraient alors demander au juge fiscal saisi du litige de poser une question préjudicielle à la Cour de justice afin qu’elle vérifie la conformité de l’exception de substance avec les libertés de circulation», explique Denis‑Emmanuel Philippe.
En bref, la seule voie possible est d’aller en justice et d’argumenter que la loi belge est contraire au droit européen.
Ce qui, selon le fiscaliste, est synonyme d’un procès long, coûteux et à l’issue incertaine.
Journaliste Jean-Paul Bombaerts
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