L’une des mesures les plus contestées de l’accord de coalition du gouvernement de l’Arizona est sans aucun doute l’introduction d’une taxe sur les plus-values sur actions. Pourtant, une telle taxe existe déjà en Belgique : les plus-values sur actions réalisées dans le cadre d’une « gestion anormale du patrimoine privé » sont en effet déjà imposées au taux de 33%. La question de savoir ce qu’il faut entendre par « gestion normale » ou « gestion anormale » s’apprécie à l’aune de critères complexes et est source d’un contentieux abondant. L’idée du gouvernement Arizona est de taxer toutes les plus-values sur actions, y compris celles relevant de la gestion normale d’un patrimoine privé. Le problème est que le projet de loi sur la table du gouvernement, fruit d’un compromis politique entre les partenaires de la majorité, regorge d’exemptions et de régimes de faveur qui ne tiennent pas toujours la route. Une chose est sûre : ce texte a peu de chances de remporter le prix Goncourt !
Les exceptions et les régimes de faveur entraînent nécessairement des différences de traitement entre les contribuables. Or, le principe constitutionnel d’égalité requiert qu’une inégalité de traitement soit raisonnablement justifiée par des critères objectifs et pertinents.
La nouvelle taxe de 10% frappe les plus-values sur les actifs financiers. Il ne s’agit pas seulement des plus-values sur actions, mais aussi les plus-values sur les produits d’assurance (branches 21-23), les obligations, les parts de fonds d’investissement, les produits dérivés, les devises, les trackers, les crypto-monnaies,…. Le champ d’application fort large de l’impôt garantit l’égalité fiscale. Mais le projet de texte exclut toutefois divers actifs financiers tels que les fonds de pension, les polices d’assurance groupe et les actions de start-ups bénéficiant d’un incitant fiscal. Cela soulève une première question : comment le gouvernement peut-il justifier pourquoi il taxe les plus-values de produits d’assurance-vie (branche 21) mais pas de polices d’assurance groupe ?
Le nouveau projet de loi distingue l’actionnaire ordinaire de celui détenant une participation substantielle, à savoir celui qui possède, le cas échéant avec certains membres de sa famille, au moins 20 % des actions d’une société (par exemple, une PME). Les deux types d’actionnaires sont soumis à l’impôt sur les plus-values de 10 %, mais pour l’actionnaire ordinaire, une exonération fiscale de 10.000 d’euros par an est prévue, alors qu’elle s’élève à un million d’euros, soit 100 fois plus, pour l’actionnaire détenant une participation substantielle ! De plus, dans le cas d’une participation substantielle, le taux de 10 % ne s’applique que lorsque la plus-value dépasse 10.000.000 d’euros. En deçà, des taux plus faibles s’appliquent. Là encore se pose la question de la justification raisonnable de cette différence de traitement…
Une autre question juridique épineuse est l’exonération des plus-values historiques. Dans le cadre du compromis politique, il a été décidé de ne pas taxer les plus-values latentes (augmentations de valeur) existant au 31 décembre 2025. Cela implique que ces plus-values historiques doivent être déterminées et que les actifs financiers doivent être évalués au 31 décembre 2025. Cela ne pose pas de problème pour les actifs cotés en bourse, pour lesquels nous disposons du cours de bourse ou du cours journalier. Mais il en va autrement pour les actifs non cotés, comme les actions des PME. Pour évaluer ces actions, le gouvernement a proposé différentes méthodes de calcul. Les actions peuvent notamment être évaluées sur la base des capitaux propres augmentés d’un montant égal à 4 fois l’EBIDTA du dernier exercice. Mais elles peuvent également faire l’objet d’une valorisation par un réviseur d’entreprise ou un comptable. Cela aussi pose des problèmes juridiques. Une formule reposant sur un multiple de l’EBIDTA nous paraît économiquement irréaliste, étant donné les différences sectorielles dans ce domaine. Une évaluation établie par un professionnel du chiffre n’est pas non plus idéale et peut donner lieu à des discussions avec l’administration fiscale. Ici encore, on peut se demander si l’introduction de telles méthodes d’évaluation dans le texte de loi ne va pas à l’encontre du principe constitutionnel d’égalité…
Il nous semble évident que si les partenaires de la majorité parviennent à se mettre d’accord sur cette nouvelle taxe sur les plus-values, celle-ci sera contestée devant la Cour constitutionnelle, laquelle devra alors décider de sa vie ou de sa mort. Un tel scénario ne profite à personne, ni au gouvernement ni aux contribuables. Au vu des débâcles précédentes – on peut citer la taxe sur les riches (la contribution spéciale de 4% introduite en 2012 à charge des contribuables ayant des revenus mobiliers supérieurs à 20.000 euros) , la fairness tax ou encore la taxe sur les comptes titres, toutes annulées par la Cour constitutionnelle – les politiciens ne devraient pourtant pas l’ignorer. Les pressions politiques et le lobbying en faveur des exemptions et des niches fiscales engendrent un enchevêtrement de dispositions d’une complexité extrême. Tout ceci est source d’insécurité juridique.
En fiscalité, une simplification s’impose. La question se pose dès lors de savoir s’il ne vaudrait pas mieux introduire une taxe sur les plus-values avec un taux bas, le cas échéant assorti de quelques (rares) exceptions – justifiées par des critères objectifs et pertinents- qui seraient alors clairement susceptibles de passer le cap de la Cour constitutionnelle, plutôt qu’un impôt avec un taux plus élevé et de nombreuses exceptions.
Michel Maus (professeur VUB – avocat Bloom Law) et Denis-Emmanuel Philippe (maître de conférences ULiège – avocat Bloom Law)
Lire aussi l ‘article dans L’ Echo