L’ Echo: Société (de management): quelle stratégie adopter face à la nouvelle fiscalité des sicav RDT?

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vendredi, 11 avril, 2025

L’avant-projet de loi relatif à la mise en œuvre de l’accord gouvernemental prévoit deux changements majeurs pour le régime des sicav RDT. Devrez-vous adapter la stratégie d’optimisation fiscale de votre société?

En Belgique, la fiscalité des sociétés forme une architecture subtile, où chaque choix de gestion engage une lecture minutieuse de toutes les règles en vigueur.

Ces choix sont d’autant plus difficiles à faire que la fiscalité belge, loin d’apporter des repères clairs, s’entoure, la plupart du temps, d’un langage hermétique et d’une complexité croissante.

De fait, décrypter les implications d’un nouveau régime fiscal relève souvent d’un véritable parcours du combattant, et nécessite, dans la majorité des cas, l’accompagnement d’un expert.

Le nouvel accord gouvernemental, tout comme la dernière version de son avant-projet de loi que nous avons pu consulter, s’inscrivent dans cette continuité: leur volet fiscal revêt une complexité accrue, notamment à travers la réforme du régime sicav RDT, qui prévoit une taxation distincte de 5% sur les plus-values, et des nouvelles conditions bien spécifiques pour l’imputation du précompte mobilier sur les dividendes reçus (voir plus loin).

Certes, à ce stade, cette mesure relève encore de l’hypothèse. Néanmoins, si elle venait à être validée, quelles en seraient les implications concrètes? La taxe de 5% s’appliquera-t-elle à tous les cas de figure? Dans quelles mesures le précompte mobilier sera-t-il, ou non, imputé? Autant de questions qui restent ouvertes et auxquelles nous avons tenté d’apporter des réponses, en concertation avec des spécialistes.

Une sicav RDT, c’est quoi?

Concrètement, une sicav RDT (société d’investissement à capital variable bénéficiant du régime des revenus définitivement taxés), est un fonds d’investissement spécialisé dans les actions, « dont les statuts imposent une distribution annuelle d’au moins 90% (après déduction des dépenses, des frais et des commissions, NDLR) des revenus nets », explique l’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law).

Ce mécanisme en fait une solution privilégiée non seulement pour les PME, mais également pour des sociétés de management créées par des professions libérales (médecins, avocats, consultants, etc.) qui cherchent à valoriser une trésorerie excédentaire en minimisant leur exposition à l’impôt des sociétés.

Exemple

Imaginons une sicav RDT qui investit principalement en actions européennes. Sur l’exercice 2024, elle perçoit les revenus suivants:

  • Dividendes perçus (bruts)  300.000 euros;
  • Frais de gestion et charges diverses -50.000 euros;
  • Revenu net comptable : 250.000 euros.
  • La sicav devra distribuer au minimum 90% de ce revenu net à ses actionnaires, soit 90% x 250.000 euros = 225.000 euros.
  • La sicav devra donc distribuer au moins 225.000 euros à ses porteurs de parts pour rester éligible au régime fiscal avantageux des sicav RDT.

Quels en sont les avantages?

Le succès de la sicav RDT s’explique en particulier par la possibilité, pour l’actionnaire – société belge (PME, société de management,…) de bénéficier d’une exonération des dividendes reçus de la sicav RDT (application du régime des revenus définitivement taxés), mais aussi des plus-values réalisées en cas de cession des parts de cette sicav RDT.

De fait, les conditions classiques du régime des RDT (notamment la détention d’une participation d’au moins 10% ou d’une valeur minimale de 2,5 millions d’euros) ne jouent pas lorsqu’une société belge (PME, société de management) reçoit ces dividendes ou réalise ces plus-values sur actions.

Ce sera aussi le cas si la société belge investit une somme relativement faible dans la sicav RDT, elle ne doit donc pas investir 2,5 millions d’euros au minimum.

Néanmoins, pour que ce régime fiscal puisse jouer pleinement, encore faut-il que la sicav investisse dans de « bonnes actions », c’est-à-dire des actions de sociétés qui sont soumises à un niveau d’imposition suffisant. C’est d’ailleurs pour cette raison que les sicav RDT investissent le plus souvent dans des entreprises établies dans l’Union européenne ou aux États-Unis.

Exemple

  • Imaginons une société belge qui investit 100.000 euros dans une sicav RDT, qui investit dans des actions de sociétés établies dans l’Union européenne. Au cours de l’année, elle perçoit 6.000 euros de dividendes et revend ensuite ses parts avec une plus-value de 10.000 euros.
  • Dans un régime fiscal classique, ces montants seraient, dans une large mesure, intégrés au résultat imposable de la société, potentiellement soumis à un taux de 25% d’impôt des sociétés. Cela représenterait une charge fiscale de 4.000 euros.
  • Or, dans le cas d’une sicav RDT, ces revenus peuvent être totalement exonérés, ou quasiment exonérés d’impôts. L’entreprise conservera alors l’intégralité des 16.000 euros de gains (dividendes + plus-value).

Qu’est-ce qui va changer?

Le nouvel avant-projet de loi-programme actuellement en discussion ne remet pas en cause l’existence du régime fiscal favorable applicable aux sicav RDT. Toutefois, il tend à en réduire les effets les plus avantageux, en introduisant de nouvelles mesures de cadrage. Deux ajustements majeurs sont en effet proposés:

> L’introduction d’une cotisation distincte de 5%

Jusqu’ici, les plus-values générées lors de la cession de parts des sicav RDT pouvaient bénéficier de l’exonération à l’impôt des sociétés (Isoc).

La réforme introduit désormais une cotisation distincte de 5%, applicable à ces plus-values. « Cette cotisation distincte s’appliquera sur toutes les plus-values réalisées sur des actions ou parts de sicav RDT, mais pas sur les dividendes distribués », explique Denis-Emmanuel Philippe.

« Les plus-values réalisées à l’occasion de la cession de telles actions à des tiers sont visées. En revanche, il faudra attendre les textes définitifs avant de savoir si cette cotisation de 5% frappe aussi les plus-values réalisées à l’occasion d’un rachat d’actions propres, assimilées dans certains cas à des dividendes sur le plan fiscal « , poursuit-il.

Exemple

  • Prenons le cas d’une PME ou d’une société de management souhaitant investir 100.000 euros de liquidités excédentaires.
  • La colonne de gauche représente le traitement fiscal standard, où la plus-value est intégralement imposable à l’impôt des sociétés. Au taux de 25%, cela correspond à une charge fiscale de 5.000 euros, réduisant le rendement net à 15.000 euros.
  • La colonne du milieu représente le cadre actuel (avant réforme). Dans ce cas, la plus-value réalisée lors de la cession de parts de sicav RDT est totalement exonérée d’impôts, et le rendement net est de 20.000 euros.
  • La colonne de droite illustre le régime après réforme, une cotisation distincte de 5% sur les plus-values, sans réintégration dans le bénéfice imposable à l’Isoc. Ainsi, bien que la plus-value reste exonérée à l’Isoc, la société doit désormais s’acquitter d’une cotisation de 1.000 euros (5 % x 20.000 euros). Le rendement net s’en trouve légèrement réduit, à 19.000 euros.

> L’imputation du précompte mobilier

Le second pilier de la réforme envisagée dans l’avant-projet de loi-programme concerne une restriction sur la possibilité d’imputer à l’Isoc le précompte mobilier retenu sur les dividendes.

Jusqu’à présent, une société percevant les dividendes d’une sicav RDT pouvait, sous certaines conditions, imputer le précompte mobilier de 30% retenu sur les dividendes à l’Isoc. Cette disposition permettait d’éviter que le précompte ne constitue une charge fiscale définitive.

Désormais, l’avant-projet de loi conditionne cette imputation au versement d’une rémunération minimale, dans l’année de la réception du paiement du dividende, à l’un des dirigeants actifs de la société. Ce seuil, actuellement fixé à 45.000 euros, devrait être porté à 50.000 euros (avec une maximum de 20% d’avantage toute nature) selon les orientations du gouvernement. Autrement dit, une société qui ne rémunèrerait pas suffisamment son dirigeant perdrait le droit d’imputer le précompte, lequel deviendrait alors un coût fiscal non récupérable.

Exemple

  • La colonne de gauche illustre le cas d’une société qui ne verse pas de rémunération suffisante à son dirigeant. Dans ce scénario, le précompte mobilier de 30% (soit 4.500 euros) ne peut pas être imputé sur l’impôt des sociétés, et devient un coût fiscal définitif. Le dividende net effectivement perçu est donc limité à 10.500 euros.
  • La colonne du milieu démontre que la rémunération minimale est payée par la PME à son dirigeant. « Dans ce cas, le précompte mobilier peut venir s’imputer sur l’Isoc dû sur les bénéfices de l’année en question ». Le précompte de 4.500 euros viendra s’imputer sur l’Isoc de 50.000 euros. Dans cet exemple, le précompte mobilier ne représentera donc pas un coût pour la PME, puisqu’il viendra diminuer le montant d’Isoc dû.
  • La colonne de droite décrit une situation où la société respecte également le seuil de rémunération, mais où son impôt des sociétés n’est que de 1.000 euros. Le précompte excédentaire non imputé (3.500 euros) est alors remboursé par l’administration fiscale, garantissant là aussi un dividende net intégral de 15.000 euros.

Quel sera l’impact de cette mesure?

Dans les faits, ce changement va contraindre bon nombre de holdings ou sociétés patrimoniales à revoir leur politique de rémunération des dirigeants.

Les entreprises n’ayant pas ou peu de personnel et versant peu ou pas de rémunération à leur dirigeant seront probablement les premières touchées.

Sera-t-il intéressant de relever le seuil de votre rémunération?

Tout dépendra bien évidemment des bénéfices réalisés, comme l’explique Chemseddine Bega, expert-comptable fiscaliste et fondateur de la fiduciaire Oracio. De fait, l’intérêt de relever cette rémunération repose sur une logique de « seuil de rentabilité fiscale », explique-t-il.

Si, par exemple, un dirigeant de société relève sa rémunération de 45.000 à 50.000 euros, cela génèrera une pression fiscale totale de 3.000 euros (si l’on tient compte des impôts de 50% et des cotisations sociales de près de 20% qui devront être réglés) ainsi qu’un salaire net de 2.000 euros. « Cela représentera un taux de taxation de 60% », explique Chemseddine Bega (voir tableau).

« Le coût de l’augmentation salariale sera donc ‘compensé’ par la possibilité de récupérer le précompte mobilier. Un point d’équilibre sera atteint, où augmenter son salaire deviendra fiscalement neutre ».

Pour « absorber » cet impact fiscal, vous devrez verser 10.000 euros de dividendes brut, ce qui correspondra à un montant de capital de 200.000 euros investi à du 5% de moyenne. Par ailleurs, chaque année, une sicav RDT distribue au moins 90% de ses revenus. Sans rémunération annuelle de 50.000 euros, le précompte mobilier de 30% devient un coût fiscal définitif.

« Il sera donc, dans certains cas, plus intéressant de sortir les dividendes et de placer l’argent ensuite », commente Chemseddine Bega.

Quid si vous couplez des sicav RDT avec une réserve de liquidation?

Il n’est pas rare que les placements en sicav RDT soient associés à la constitution d’une réserve de liquidation.

La société place alors sa trésorerie excédentaire dans une Sicav tout en constituant une réserve de liquidation (ce qui permet de se reverser des dividendes avec un taux de précompte mobilier réduit à 5% au bout de cinq ans, voire trois dans le cadre du nouvel accord gouvrnemental) . À l’échéance, la Sicav est revendue et les fonds sont distribués sous forme de dividendes.

Si ce mécanisme peut sembler fiscalement attractif, il présente toutefois un risque économique non négligeable. En effet, « les sicav RDT étant majoritairement investies en actions, elles sont exposées à la volatilité des marchés financiers. Or, sur cette période, le rendement d’un fonds d’actions peut s’avérer très incertain, ce qui signifie que la revente peut intervenir à un moment défavorable du cycle. Cela risquerait donc de compromettre le niveau de liquidités nécessaire à votre objectif de réserve de liquidation.

Ainsi, ce couplage, s’il est envisagé sur une durée trop courte, peut non seulement annuler les gains fiscaux attendus, mais entraîner une perte en capital, non déductible fiscalement dans le cas d’un investissement via votre société.

Quels sont les inconvénients des sicav RDT?

Enfin, si les sicav RDT présentent des avantages fiscaux indéniables, elles ne sont pas sans contraintes ni sans limites. Un élément souvent sous-estimé dans ce type de stratégie, comme expliqué plus haut, est leur durée d’investissement.

Les sicav RDT sont, par nature, investies dans des actions, s’étalent généralement sur quatre à cinq ans, et peuvent connaître des baisses significatives à court terme.

Or, les professionnels recommandent plutôt une durée minimale de placement allant de huit à dix ans pour espérer un rendement stable et significatif. « En deçà, le risque est élevé de devoir vendre à un moment défavorable du cycle, réduisant à néant les avantages fiscaux espérés, voire générant des pertes qui, rappelons-le, ne sont pas fiscalement déductibles en cas d’investissement via la société », commente Chemseddine Bega.

Par ailleurs, « la diversification dans ces véhicules reste très limitée », ajoute-t-il. En pratique, la plupart des banques ne proposent qu’une seule sicav RDT, propre à leur établissement. L’investisseur se retrouve donc exposé à un univers d’investissement peu varié, avec une dépendance forte à la gestion et aux performances d’un seul fonds.

Mais encore, si vous souhaitez conserver le taux réduit d’impôt des sociétés de 20%, vous devrez veiller à ne pas dépasser un certain plafond. Plus précisément, la valeur totale des investissements financiers (dont les sicav) ne pourra pas excéder plus de 50% du capital libéré, augmenté des réserves taxées. Le non-respect de cette limite entraînera une perte du taux réduit à l’Isoc.

Journaliste Ewa Kuczynski

Lire aussi l’ article dans L ‘ Echo 

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