Le formateur fédéral, Bart De Wever, préconise une taxe de 10% sur les plus-values sur les actifs financiers. Mais sa mise en œuvre pourrait s’avérer complexe.
Les contours de la taxe sur les plus-values mobilières, préconisée par le formateur Bart De Wever, sont encore flous. Les grandes lignes de ce nouvel impôt, qui ont filtré récemment dans la presse, posent de nombreuses questions, selon les fiscalistes que nous avons consultés. Voici l’analyse de chacune des caractéristiques de cette taxe potentielle, dans l’état actuel des informations disponibles.
- Un impôt général de 10% sur les plus-values sur les actifs financiers
Concernant le champ d’application de la taxe, « la mesure vise probablement les instruments financiers, car il est inhabituel de faire référence à des « actifs financiers » à l’impôt des personnes physiques, ce qui engloberait donc les investissements tant cotés en bourse que ceux hors bourse », commente Laurent Donnay de Casteau, avocat fiscaliste et associé fondateur du cabinet Advisius.
La notion d’impôt général laisse penser que la taxe de 10% deviendrait le régime le plus courant, alors que la loi prévoit qu’en cas de gestion « anormale » du patrimoine, les gains sont taxés au titre de revenus divers, à 33%. Reste à voir si le critère de la gestion anormale du patrimoine sera maintenu. « Le maintien de ce critère soulève la question de la place que l’impôt de 10% prendrait dans le paysage fiscal actuel », remarque Gregory Komlosi, responsable fiscalité chez Eversheds Sutherland Belgium.
Le taux d’imposition serait quant à lui raisonnable. « Le taux de taxation est relativement faible, à savoir 10%, à comparer avec le taux d’imposition des dividendes de 30%, qui serait certes rabaissé à 25%, selon les informations qui ont filtré », estime Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom.
« À comparer avec ce que les pays voisins pratiquent, le taux de 10% reste compétitif », ajoute Laurent Donnay de Casteau. « La France pratique une imposition de 30%, dont l’assiette est très large. Le Luxembourg impose aux taux progressifs ordinaires, à savoir jusqu’à 45,78%, en fonction de l’ampleur des revenus du contribuable, les plus-values sur actions détenues moins de six mois. »
Mais « même si le taux de 10% est encore clément, l’introduction de cette taxe serait perçue comme la fin de la Belgique en tant que paradis de l’exit (sortie du capital d’une société, NDLR) pour les entrepreneurs », juge Gregory Komlosi.
- Pas de rétroactivité
Selon les informations disponibles, Bart De Wever prévoit que la taxe s’appliquerait sans rétroactivité et avec une exonération des plus-values historiques. Cela signifie que les investisseurs qui réalisent des plus-values actuellement peuvent, en principe, dormir sur leurs deux oreilles. « Sur cette base, il ne sert à rien de vouloir mettre à l’abri les plus-values actuelles en se précipitant pour vendre des instruments financiers afin de réaliser ces plus-values, avec exonération par application du régime actuel », précise Laurent Donnay.
Par conséquent, « une bonne partie des plus-values qui seront réalisées, du moins au cours des premières années qui suivront l’entrée en vigueur de la mesure, devrait pouvoir échapper à la taxe », prévoit Denis-Emmanuel Philippe, qui explique cela par un exemple: « Un boursicoteur a acquis des actions cotées il y a cinq ans pour 100.000 euros. La valeur de marché de ses actions est évaluée à 300.000 euros au moment de l’entrée en vigueur de la taxe sur les plus-values. S’il revend, quelque temps après l’entrée en vigueur, les actions cotées pour 350.000 euros, la taxe de 10% ne devrait s’appliquer qu’à hauteur de la différence entre le prix de cession (350.000 euros) et la valeur de marché de ses actions au moment de l’entrée en vigueur de la mesure (300.000 euros), soit 50.000 euros. Ceci signifie que l’impôt à payer serait limité à 5.000 euros (10% de 50.000 euros). »
- Déduction des frais et prise en compte des moins-values
Selon les éléments d’information qui ont circulé sur le projet de taxe, les frais d’acquisition ou de conservation des plus-values, comme la taxe boursière ou la taxe compte-titres, seraient déductibles. De plus, un mécanisme correcteur permettrait de tenir compte des moins-values.
Il y a là de « vastes possibilités pour réduire le montant de la plus-value imposable », estime Denis-Emmanuel Philippe. « La mention de la taxe sur les comptes-titres comme un élément déductible de la plus-value s’adresse aux plus gros investisseurs », signale Gregory Komlosi. « Toujours est-il qu’il serait intéressant de voir comment cette déduction devrait être calculée et attribuée aux divers titres sur le compte en cas de cession.
Laurent Donnay de Casteau note que le maintien de la taxe boursière et de la taxe comptes-titres est en contradiction avec la proposition du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem, dont le projet de réforme fiscale prévoyait de supprimer ces impôts en contrepartie de l’instauration d’une taxe sur les plus-values. « Au-delà du principe de l’imposition des plus-values qui risque de froisser certains autour de la table des négociateurs, cet élément risque de déranger encore davantage de monde autour de cette table », anticipe Me Donnay.
« Par contre, la gestion administrative risque de transformer la mise en œuvre de la taxe en cauchemar », craint-il. « Que se passe-t-il en cas de plus-value réalisée sur un portefeuille auprès d’une première banque, et de moins-value auprès d’une seconde banque, combinée à une probable implication des banques dans le prélèvement de l’impôt? », s’interroge Laurent Donnay. « Le contribuable va-t-il devoir réclamer auprès de l’administration fiscale contre un prélèvement à la source réalisé par la première banque? Voici qui augure d’une charge administrative importante, tant pour l’investisseur que pour les banques et pour l’administration fiscale elle-même. »
- Exonération de 6.000 euros
Une exonération de base de 6.000 euros serait proposée pour que les petits investisseurs ne soient pas touchés par la taxe.
La mise en œuvre de cette exonération pourrait poser un problème, avertit Laurent Donnay de Casteau. « La méthode de l’exonération sera-t-elle une exonération à la source, ou impliquera-t-elle une déclaration avec crédit d’impôt, pour éviter le problème de la démultiplication des comptes auprès d’institutions financières différentes? », se demande-t-il. « En fonction des modalités de mise en œuvre, cette exonération pourrait être compliquée à gérer tant par le contribuable que par les institutions financières qui seraient appelées à prélever à la source cette nouvelle imposition générale, et par l’administration fiscale dans le contrôle du respect de la mesure. »
- Les petites sociétés à l’abri de la taxe
La vente de participations substantielles dans des entreprises par les actionnaires historiques et actifs ou par l’entrepreneur resterait non taxée jusqu’à un montant de 2,5 millions d’euros.
« C’est un beau cadeau fait aux entrepreneurs belges », considère Denis-Emmanuel Philippe. « On peut citer ici l’exemple classique de l’actionnaire belge à la tête d’une PME belge, soucieux de revendre son entreprise à l’âge de la retraite en réalisant une coquette plus-value sur actions exonérée d’impôt. Seul le montant de sa plus-value excédant 2,5 millions d’euros sera taxable à 10%. »
Ce dernier note que le Grand-Duché de Luxembourg taxe, lui, les plus-values sur une participation substantielle, c’est-à-dire en cas de participation supérieure à 10% dans le capital d’une société luxembourgeoise ou étrangère. « Ces plus-values sont taxables au demi-taux global, à savoir 50% du taux moyen calculé en prenant en considération l’ensemble des revenus du contribuable, soit à un taux maximum d’environ 23% », précise Me Philippe.
- Adaptation à l’inflation
La taxe telle que préconisée par le formateur fédéral serait accompagnée d’un mécanisme correcteur tenant compte de l’inflation. On le sait, bon nombre de montants fiscaux sont, chaque année, adaptés pour tenir compte de l’évolution des prix à la consommation. Est-ce cette indexation fiscale que vise Bart De Wever? Ou alors faudrait-il adapter la valeur des actifs financiers acquis antérieurement en fonction de l’inflation pour calculer la plus-value? Tout cela n’est pas clair…
« Et conviendra-t-il d’également revaloriser les moins-values? », s’interroge Laurent Donnay. « A moins que l’ajustement ne soit limité à l’exonération de base de 6.000 euros? Cet ajustement, favorable au contribuable, sera, lui aussi, source de complexité… »
Le résumé
- La taxe de 10% sur les plus-values mobilières préconisée par De Wever pose de nombreuses questions.
- Concernant les plus-values actuelles, les investisseurs peuvent, en principe, être tranquilles.
- La taxe envisagée laisserait « de vastes possibilités de réduire le montant de la plus-value imposable ».
- Mais la mise en œuvre des diverses exonérations pourrait être un casse-tête administratif.
Journaliste Philippe Galloy
Lire aussi l’ intervention de Denis-Emmanuel Philippe dans L’Echo.