Gare au sort réservé aux plus-values sur actions anormalement élevées

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mardi, 4 février, 2025

En principe, les plus-values sur actions réalisées par une société belge sont exonérées. À suivre un récent arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, la donne pourrait toutefois être différente si la plus-value est anormalement élevée.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 3 octobre 2023, une société belge avait acquis des actions d’une société polonaise, entre 2000 et 2004, pour un prix de 237.631 euros. La valeur des actions de la société polonaise s’était ensuite envolée à la faveur de la mise sur pied d’un projet immobilier prometteur.

En 2016, la société belge a apporté les actions de la société polonaise à une société holding liée, en réalisant une plus-value de 33.296.797 euros. La société belge avait renseigné, dans sa déclaration fiscale à l’Isoc, cette plus-value comme exemptée en application du régime d’exonération des plus-values sur actions (article 192 du CIR).

L’administration fiscale a toutefois considéré que la plus-value réalisée était anormalement élevée, la valeur de marché des actions apportées étant,selon elle, largement inférieure à celle adoptée par les parties. Selon l’administration, la plus-value constituait un « avantage anormal ou bénévole » reçu par la société belge, imposable comme un bénéfice ordinaire sur le fondement de la redoutable mesure anti-abus contenue dans le Code des impôts sur les revenus (CIR).

La Cour d’appel d’Anvers a donné raison au contribuable, au motif que le fisc n’avait pas été en mesure de prouver que l’évaluation des actions apportées ne correspondait pas à la réalité économique. En l’espèce, le projet immobilier en Pologne avait fait l’objet d’un rapport de valorisation sérieux par un expert immobilier réputé.

En outre, les autres pièces produites par la société belge étaient venues conforter la justesse et la sincérité de la valorisation adoptée par les parties. Conclusion: la plus-value – bien qu’élevée – ne pouvait être qualifiée d’avantage anormal ou bénévole reçu et était bien éligible au régime d’exonération des plus-values sur actions.

Le dispositif anti-abus en embuscade

Une question reste cependant tapie en embuscade: quid si le fisc avait pu démontrer que la plus-value était manifestement excessive, et qu’elle constituait donc bien un avantage anormal ou bénévole reçu? Aurait-il alors été en droit de soumettre la plus-value à l’Isoc?

La Cour n’a pas écarté cette éventualité dans son arrêt. Elle n’a toutefois pas été amenée à trancher cette question, puisqu’elle a écarté la qualification d’avantage anormal ou bénévole eu égard à l’absence de preuve du caractère surévalué des actions apportées.

À mon avis, on ne peut écarter ce risque fiscal. En effet, le résultat qui provient d’un avantage anormal ou bénévole (par exemple, une plus-value sur actions anormalement élevée) constitue, en principe, une base imposable minimale. Et, selon une jurisprudence antérieure de la même Cour d’appel d’Anvers, ce dispositif anti-abus a vocation à s’appliquer, peu importe que la plus-value sur actions soit exonérée (ou non).

Prenons un autre exemple: quid si une société belge vend des actions pour un prix sous-évalué à une société étrangère liée? Dans cette hypothèse, le fisc est, en principe, en droit de redresser la société belge cédante sur le fondement d’une (autre) mesure anti-abus en matière de prix de transfert qui conduit à l’augmentation de la base imposable d’une société belge à hauteur des avantages anormaux ou bénévoles octroyés (en l’occurrence, la différence entre le prix de cession et la valeur de marché des actions).

Il est piquant de faire observer que la société cédante ne peut échapper ici à l’impôt des sociétés sur la base du régime d’exonération des plus-values sur actions (article 192 du CIR). Ceci peut paraître injuste. En effet, si les actions avaient été cédées à leur juste valeur (au lieu d’être cédées pour un prix trop bas), la plus-value aurait pu être éligible au régime d’exonération précité. Mais la Cour de cassation en a décidé ainsi dans un arrêt féroce du… 20 septembre 1962.

Il est donc vivement conseillé de valoriser correctement les transactions sur actions entre sociétés liées.

Denis-Emmanuel Philippe
Avocat-associé (Bloom Law)
Maître de conférences (ULiège)

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