L ‘Echo: Voici tout ce que le fisc connaît(ra) de votre patrimoine

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samedi, 10 mai, 2025

L’administration fiscale dispose de beaucoup d’informations sur les avoirs belges. Elle accède à d’autres données sous condition. Et elle en saura bientôt plus.

Presque plus rien n’échappe au regard du fisc. Au fil des années, l’administration fiscale a obtenu de plus en plus d’informations au sujet du patrimoine des contribuables belges, et cette connaissance des avoirs des particuliers va encore s’accroître à l’avenir, compte tenu des projets du gouvernement fédéral en la matière. Si bien qu’il ne reste(ra) plus que de rares biens susceptibles de passer sous le radar des autorités, avec toutefois plusieurs limites. Explorons, actif par actif, ce que le fisc connaît, peut connaître, connaîtra et ne connaît pas (encore?) de votre patrimoine.

Immobilier

En matière d’immobilier, impossible de passer inaperçu. Les propriétés en Belgique sont connues du service du cadastre. Les démembrements de la propriété, par exemple une répartition d’un bien entre usufruitier et nu-propriétaire, remonte au fisc via l’enregistrement. Et les biens situés à l’étranger font l’objet d’échanges entre les administrations fiscales étrangères et la nôtre. Sans compter que le fisc a développé, il y a quatre ans, un cadastre des immeubles détenus par les Belges à l’étranger: tout qui est concerné a dû déclarer ses briques hors de nos frontières.

Les revenus immobiliers à l’étranger font l’objet d’échanges d’informations entre pays européens en application de la directive DAC (« directive on administrative cooperation »). Les loyers d’immeubles belges peuvent quant à eux être connus du fisc via l’enregistrement du bail, bien que cette formalité ne soit pas toujours respectée. De toute manière, l’immobilier est taxé sur la base du revenu cadastral.

Comptes bancaires

La transparence fiscale s’étend de plus en plus aux actifs financiers. Les comptes à l’étranger, qu’il s’agisse de comptes à vue, de carnets d’épargne ou encore de comptes-titres, sont rapportés au fisc belge par le biais du Common reporting standard (CRS), une norme commune d’échange d’informations fiscales entre pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et du Fatca (« foreign account tax compliance »), réglementation américaine qui impose une collecte et une transmission d’informations.

L’échange d’informations sur ces comptes porte sur l’identité, le solde à la fin de chaque année, le montant brut des revenus perçus (dividendes et intérêts), le produit de ventes, etc. Investir en actions, obligations, fonds et autres ETF hors Belgique ne permet donc pas d’échapper au regard du fisc puisque tous ces actifs se retrouvent sur un compte-titres. De plus, faut-il le rappeler, la détention d’un compte à l’étranger doit être mentionnée dans la déclaration fiscale.

Quid des comptes en Belgique? Les comptes bancaires, ainsi que leur solde, sont transmis chaque année par les institutions financières au Point de contact central (PCC) tenu par la Banque nationale de Belgique. Le fisc ne peut y accéder que dans le cadre d’une enquête sur la base de soupçons de fraude. Ce qui signifie que les autorités sont finalement mieux informées des avoirs financiers des Belges à l’étranger que de ce que ceux-ci possèdent dans les banques belges… « L’administration fiscale reçoit annuellement, de manière automatique, les informations sur les comptes à l’étranger, contrairement au contenu des comptes belges auxquels elle n’a accès que si elle notifie au préalable des indices de fraude au contribuable », précise Baptistin Alaime, avocat associé chez Tuerlinckx Tax Lawyers.

Les comptes-titres belges, ainsi que leurs soldes, sont aussi répertoriés au PCC. Mais si un contribuable a plusieurs comptes auprès d’une même banque, ces données sont regroupées. Le gouvernement fédéral prévoit d’individualiser les données par compte-titres. L’objectif? Pouvoir vérifier le dépassement du seuil de 1 million d’euros qui détermine l’application de la TACT (taxe annuelle sur les comptes-titres) de 0,15%.

Quoi qu’il en soit, si vous investissez, via un compte-titres belge, dans différentes classes d’actifs (actions, obligations, bons de caisse, fonds, ETF, etc.), la valeur totale de ces actifs pourra être connue du fisc en cas d’enquête liée à des soupçons de fraude.

Actions nominatives

Quid des actions nominatives? Celles-ci ne se retrouvent pas sur un compte-titres. Mais « les sociétés, par la voie de leur administrateur, doivent déclarer au registre UBO (« ultimate beneficial owners », NDLR, soit les propriétaires bénéficiaires ultimes: ce registre recense tous les bénéficiaires effectifs d’une personne morale) les actionnaires qui détiennent plus de 25% des actions, droits de vote ou capital dans les sociétés belges », signale Baptistin Alaime.

« Les modifications quant à l’actionnaire UBO doivent également être enregistrées », précise-t-il. « L’administration fiscale possède donc les données relatives aux participations de plus de 25% détenues dans les sociétés belges et aux mouvements relatifs à ces participations. À ce jour, elle n’a toutefois pas accès aux données du registre pour y faire du « data mining » (analyse de données, NDLR). Elle ne peut accéder aux données du registre que dans le cadre du contrôle d’un contribuable déterminé. »

Peut-on donc passer inaperçu du fisc avec des actions nominatives représentant moins de 25% du capital d’une société? « Sauf circonstance particulière et en dehors d’un contrôle, les informations sur ces actions nominatives ne sont pas connues du fisc », répond Me Alaime. « Toutefois, les actes de constitution des sociétés sont publiés au Moniteur belge, de sorte que l’administration pourrait retrouver l’information sur cette base, et pour autant que l’actionnariat n’ait pas changé entre-temps. »

Assurances-vie et revenus

Les assurances-vie (produits des branches 21, 23, 25 ou 26) n’offrent guère de discrétion: si elles sont conclues à l’étranger, elles font l’objet d’échanges d’information via la directive DAC et doivent être mentionnées dans la déclaration fiscale, et s’il s’agit de contrats belges, ces assurances se retrouvent au PCC, accessible au fisc sous les conditions déjà mentionnées.

Par contre, un certain anonymat entoure encore l’attribution de revenus mobiliers. « Tout intermédiaire établi en Belgique qui paie des intérêts ou des dividendes doit faire une déclaration au précompte mobilier, avec une retenue obligatoire », explique Thierry Litannie, avocat associé chez Law Tax. « Le précompte mobilier étant libératoire, le bénéficiaire est dispensé de toute déclaration, de sorte qu’il n’existe pas d’identification précise, puisque les déclarations faites par les intermédiaires sont globalisées. Il reste donc encore là un régime de non-connaissance de l’État belge de manière systématique par rapport à ces revenus mobiliers. »

Il y a évidemment un gros bémol: ces dividendes et intérêts se retrouveront sur les comptes repris dans le PCC, auquel le fisc peut accéder de manière conditionnelle, ce qui relativise la discrétion dont ils bénéficient encore. Les revenus du travail sont largement connus du fisc. « En Belgique, tout débiteur de revenus professionnels doit établir des fiches de salaire et le tout est envoyé à l’administration du précompte professionnel », précise Me Litannie. « Idem pour les pensions, les rémunérations de dirigeants d’entreprises, etc. Tout cela est connu de l’administration de manière automatique. » Quid si on perçoit de tels revenus dans un autre pays? « Les pensions et les revenus professionnels perçus à l’étranger font l’objet d’un échange d’informations entre États membres de l’Union européenne en vertu de la directive DAC », indique Me Alaime.

Plateformes collaboratives et crypto

Depuis 2023, les revenus provenant de plateformes numériques de l’économie collaborative, comme Airbnb, Booking.com ou Your.Rentals, sont notifiés aux administrations fiscales par ces plateformes. C’est une obligation instaurée par la directive DAC 7, la septième révision de la directive DAC, qui suit une série d’autres modifications ayant augmenté les obligations de déclaration.

« Une conclusion claire peut être tirée de ces multiples amendements de la DAC: on évolue vers une transparence fiscale totale », analyse Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law. « La DAC 7 illustre de manière éclatante que la digitalisation de la société n’échappe pas à cette tendance. » Concrètement, les plateformes transmettent aux autorités les informations sur les vendeurs en ligne et les revenus des activités concernées, comme la mise en location d’un lieu de vacances ou la revente de vêtements.

Une nouvelle adaptation, la DAC 8, adoptée en 2023, vise quant à elle les crypto-actifs. C’est la dernière nouveauté en matière de transparence fiscale: à partir de 2026, les plateformes crypto devront notifier les informations sur leurs utilisateurs, les transactions et les montants impliqués. Et les échanges d’informations entre administrations des différents pays européens seront élargis au secteur des crypto-actifs.

« Grâce à DAC 8, l’administration fiscale belge sera informée des transactions réalisées en crypto-actifs par les résidents belges; elle ne manquera pas de comparer ces informations avec les déclarations fiscales de ces utilisateurs, afin de voir si tous les revenus de crypto ont bien été mentionnés », avertit Denis-Emmanuel Philippe, qui précise que, sans le cas contraire, le contribuable devrait recevoir « un avis de rectification, avec un redressement fiscal à la clé ».

Le gouvernement fédéral prévoit lui aussi de resserrer l’éteau sur les crypto-actifs. Le projet de loi-programme en préparation prévoit que les comptes crypto devront être transmis au PCC. « DAC 8 et la transmission des comptes crypto au PCC signent, à mon avis, quasiment la fin de l’anonymat pour les détenteurs de comptes de cryptomonnaie », estime Me Philippe. « D’ici quelques mois, le fisc saura en effet combien de cryptomonnaies une personne détient et quelles transactions elle effectue. »

Actifs échappant au regard du fisc

Compte tenu de ces nombreux canaux de transmission d’informations vers le fisc au sujet du patrimoine des contribuables, il ne reste guère de possibilité de dissimuler des valeurs. Recourir à un montage juridique via des structures à l’étranger n’a plus de sens: tout contribuable est tenu de déclarer d’éventuelles constructions juridiques dont il serait le fondateur ou le bénéficiaire. En cas d’omission, tout indice qui parviendrait aux autorités via les échanges d’informations ou des fuites de documents (« Panama papers » et autres « Offshore leaks ») risque de mener à un redressement et à des amendes.

Restent quelques rares actifs qui pourraient encore échapper aux radars administratifs, à l’instar des actions nominatives et des revenus mobiliers déjà évoqués ci-avant. Les espèces (billets et pièces) en font partie, mais attention, des transactions (échange de devises, transfert transfrontalier, etc.) à partir de 3.000 euros doivent être communiquées au PCC. Des oeuvres d’art peuvent figurer discrètement dans un patrimoine mais en cas de donation ou de succession, elles réapparaîtront via l’enregistrement. Et les marchands d’art doivent dénoncer, en cas de soupçon, les achats d’oeuvres à partir de 10.000 euros.

Les autres actifs tangibles, comme le vin, les montres de luxe ou encore les métaux précieux (or, argent, etc.) peuvent échapper au regard du fisc mais leur stockage peut être compliqué. D’autant que les contrats de location de coffres-forts belges sont déclarés au PCC. Il est possible d’en louer à l’étranger mais un compte bancaire, dont le fisc est informé, y est généralement lié. Enfin, l’euro numérique, en projet au sein de la Banque centrale européenne, est une sorte d’argent liquide digital: reste à voir comment il sera appréhendé sur le plan fiscal.

En conclusion, « l’administration fiscale dispose de plus en plus d’informations sur le patrimoine des contribuables belges », résume Baptistin Alaime. « Cette transparence accrue ne va pas s’arrêter. L’évolution que nous anticipons est que la législation va de plus en plus permettre de procéder à du data mining à des fins de contrôle dans les bases de données. Nous résumons ce contexte par la phrase suivante: le monde est devenu un village, le patrimoine une maison de verre et la vie privée une chimère. »

Journaliste Philippe Galloy

Lire aussi l’ article dans L’ Echo  

 

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