Le conseil des ministres restreint (kern) discutera notamment ce vendredi de la régularisation fiscale, dans le cadre d’un « accord de Pâques global ». L’accord est en vue, mais pas encore certain. La Libre a pu consulter l’avant-projet de loi-programme sur les mesures fiscales.
Les principaux ministres se réuniront normalement vendredi à partir de 8h du matin pour discuter des différentes lois-programmes qui comprennent l’élaboration concrète du budget et donc de l’accord de gouvernement. Sur le plan fiscal, après des semaines de discussions, un point semble enfin mûr : la régularisation fiscale. Même si, selon les précautions d’usage, tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout, il n’y a d’accord sur rien. En attendant, La Libre a pu consulter l’avant-projet de loi-programme, qui englobe la future régularisation fiscale.
À partir de 2025, la Belgique remet donc le couvert et met en place une nouvelle vague de régularisation fiscale, visant à permettre aux contribuables ayant des revenus ou capitaux non déclarés de régulariser leur situation. Cette procédure sera plus stricte que les précédentes. Avec des taux de prélèvements en hausse, de nouvelles conditions et des exceptions pour les « ayants droit de bonne foi », plusieurs questions se posent pour les contribuables concernés. Les négociations ne sont pas totalement closes puisque dépendantes, notamment, de celles autour de la réforme des pensions et du marché du travail, « mais le travail a bien avancé », nous dit-on. Notamment pour le critère « de bonne foi » des contribuables, qui est la pomme de discorde au sein de la majorité. État des lieux.
1.Quels tarifs pour la régularisation ?
La régularisation fiscale permet aux contribuables de régulariser des revenus ou des capitaux non déclarés. Cette nouvelle procédure d’amnistie présente de nombreuses similitudes avec la mouture précédente (DLU quater, jusque fin 2023). Les montants régularisés font toutefois l’objet d’un prélèvement plus élevé :
- Pour les revenus non fiscalement prescrits : à l’application du tarif de base normal s’ajoute une amende de 30 % (contre 25 % sous le régime précédent). Denis-Emmanuel Philippe (avocat associé chez Bloom Law), auquel nous avons transmis le texte de l’avant-projet, explique ainsi que « pour un contribuable qui n’aurait pas renseigné dans sa déclaration fiscale à l’IPP, au cours des trois dernières années, des intérêts sur un compte bancaire au Luxembourg, ces revenus non fiscalement prescrits pourront être régularisés moyennant le paiement du tarif de base de 30 %, majoré de l’amende de 30 %, soit 60 % au total ».
- Pour les capitaux fiscalement prescrits : l’amende s’élève à 45 % (contre 40 % sous le régime précédent).
Ces hausses s’inscrivent dans une politique plus stricte du gouvernement, qui entend ainsi dissuader toute tentative d’évasion fiscale tout en permettant une sortie « en douceur » pour ceux qui n’ont pas respecté leurs obligations fiscales. L’objectif est de récupérer des fonds pour l’État tout en offrant une « immunité » fiscale et pénale aux contribuables ayant régularisé leur situation.
2. Quid pour les ayants droit de bonne foi ?
L’un des aspects les plus importants de cette nouvelle législation concerne la possibilité d’une réduction des amendes pour les contribuables dits « de bonne foi ». Il s’agit principalement des héritiers, légataires, et donataires. Le cercle des contribuables éligibles à l’exception de bonne foi, de même que le prélèvement qui leur est applicable, fait l’objet de vifs débats au sein de la majorité. Selon la version de l’avant-projet de loi que nous avons pu consulter, l’amende serait abaissée à 25 points pour la régularisation de capitaux fiscalement prescrits. Ce taux réduit bénéficierait aux ayants droit de bonne foi.
Pour tomber dans ce régime de faveur, les capitaux fiscalement prescrits doivent avoir subi leur régime d’imposition, dans le chef de l’ayant droit, endéans un délai de 36 mois suivant leur réception. Cette majoration sera augmentée annuellement de 5 % pour atteindre une majoration de 45 % au 1er janvier 2029.
Un exemple ? Prenons l’exemple d’une donation faite par des parents à leur enfant. « Si la donation a subi son régime d’imposition dans le chef de l’enfant (par exemple : la donation faite par les parents a été enregistrée devant un notaire en Belgique), il peut advenir que les capitaux donnés soient noirs. C’est le cas s’ils sont issus d’une fraude fiscale commise par les parents. Parfois, les capitaux donnés ont fait l’objet d’une régularisation partielle sous l’empire des DLU précédentes (DLU bis), caractérisée par la régularisation des revenus non fiscalement prescrits, mais pas des capitaux sous-jacents. Dans ce genre de situations, si les enfants veulent conjurer tout risque de poursuite pour blanchiment (et éviter tout problème avec leur banque belge, si les capitaux se trouvent en Belgique), ils peuvent régulariser les capitaux fiscalement prescrits en s’acquittant de l’amende de 25 % (qui sera augmentée chaque année, pour atteindre 45 % en 2029) », explique l’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe.
Autre exemple que l’on rencontre fréquemment en pratique : les enfants héritent de comptes étrangers (au Luxembourg ou en Suisse) ouverts par leurs parents dans les années 1980 ou 1990. Les enfants déclarent minutieusement les comptes dans la déclaration de succession. Toutefois, la conformité fiscale des capitaux en question ne peut être étayée, faute de preuves (extraits de comptes…). Comme l’explique Denis-Emmanuel Philippe, « lorsqu’ils veulent rapatrier leurs capitaux en Belgique, les héritiers se heurtent immanquablement à un veto des banques belges : celles-ci refusent d’accepter des capitaux dont la conformité fiscale ne peut être démontrée « noir sur blanc », suite aux circulaires fort strictes émises par la Banque nationale de Belgique ». Pour convaincre les banques d’accepter pareils capitaux, l’avocat fiscaliste explique qu’il n’y a qu’une solution : « procéder à une régularisation fiscale en bonne et due forme. Grâce à la nouvelle amnistie, les héritiers pourraient régulariser les capitaux fiscalement prescrits moyennant le paiement de l’amende de 25 %. Ce qui leur permettrait de rapatrier les capitaux en Belgique et d’éviter toute poursuite pour blanchiment ».
Suivant nos informations, ce régime d’exception applicable aux ayants droit de bonne foi ne fait toutefois toujours pas l’unanimité au sein de la majorité.
Cette réduction aux ayants droit de bonne foi est étendue aux revenus non prescrits, qui sont soumis à un prélèvement majoré de 15 % au lieu de 30 %. Cette majoration sera toutefois augmentée annuellement de 5 points pour atteindre une majoration de 30 % au 1er janvier 2028.
3. Et l’immunité pénale, alors ?
Un point crucial de cette nouvelle législation est l’immunité pénale et fiscale qu’elle confère. La régularisation, à réaliser au Point de Contact-Régularisations du SPF Finances, n’aura pas toujours d’effet dans certaines circonstances. Notamment lorsque la régularisation couvre les revenus de certaines activités illicites déterminées. Dans ce cas, la régularisation n’empêchera pas que les activités illicites fassent l’objet de poursuites pénales.
De même, si l’administration fiscale ou une autre autorité a déjà entamé des investigations à l’égard d’un contribuable avant la date de la déclaration, la régularisation n’aura aucun effet, et le dossier pourra faire l’objet de poursuites fiscales ou pénales.
4. Quelles implications pour les entreprises ?
Les entreprises et les personnes morales peuvent également bénéficier de cette régularisation. Le texte de l’avant-projet prévoit d’ailleurs l’application des taux réduit de 25 % (au lieu de 30 %) et 40 % (au lieu de 45 %) lorsque la fraude est découverte à la suite de la reprise d’une entreprise. Dans ce cas, le repreneur pourra régulariser la fraude fiscale avec application du taux réduit, du moins dans les situations où l’entreprise a été complètement reprise par un nouvel actionnaire sans lien de parenté avec les anciens propriétaires.
La nouvelle régularisation fiscale, qui s’adresse à ceux qui ont des fonds ou des revenus non déclarés, qu’ils soient de bonne foi ou non, recèle, on le rappellera un objectif budgétaire loin d’être anodin, puisque l’État en attend 75 millions d’euros par an.
Journaliste François Mathieu