La nouvelle taxe sur les plus-values soulève de nouveaux enjeux pour les PME, en particulier face à des règles de valorisation jugées potentiellement « inéquitables ».
Il y a certaines réformes qui s’imposent avec évidence, d’autres qui peinent à trouver leur place, tant leur architecture soulève des tensions techniques et politiques. La taxation sur les plus-values appartient sans conteste à cette seconde catégorie…
Inscrite dans le sillage de l’accord gouvernemental récemment conclu, cette mesure redessine les contours des transmissions d’activités, notamment pour les dirigeants et les actionnaires de PME, en introduisant un nouveau cadre aux ramifications multiples, susceptible de générer des incertitudes juridiques et fiscales.
Car derrière les principes affichés d’’équité contributive’, le dispositif, qui reste encore en construction, soulève de nombreuses interrogations – surtout pour les sociétés non cotées, davantage exposées aux effets d’une évaluation délicate de leur valeur.
Qui, dès lors, sera concrètement concerné par cette mesure? En quoi les mesures, établies à l’heure actuelle, risquent-elles de poser problème aux PME? Autant de questions encore ouvertes, auxquelles nous avons tenté d’apporter des éléments de réponse, en concertation avec deux spécialistes.
Quelles sont les grandes lignes de cette mesure?
La nouvelle mesure, dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2026, prévoit l’instauration d’une cotisation de solidarité de 10% sur les plus-values futures générées par les actifs financiers.
Plusieurs spécificités doivent toutefois être prises en compte:
– Pour les actionnaires possédant moins de 20% du capital d’une entreprise, seule une tranche de 10.000 euros de plus-value sera exonérée.
– Les actionnaires disposant d’une participation significative dans une entreprise – d’au moins 20% du capital – bénéficieront d’un abattement automatique d’un million d’euros sur leur plus-value de cession.
Au-delà de ce seuil, un barème progressif devrait s’appliquer, modulant l’imposition en fonction des montants perçus:
– Une plus-value dont le montant se situe entre 0 et 1 million d’euros sera taxée à 0%;
– Une plus-value dont le montant se situe entre 1 et 2,5 millions d’euros sera taxée à hauteur de 1,25%;
– Une plus-value dont le montant se situe entre 2,5 millions et 5 millions d’euros sera taxée à hauteur de 2,25%;
– Une plus-value dont le montant se situe entre 5 millions et 10 millions d’euros sera taxée à hauteur 5%;
– À partir de 10 millions d’euros, la plus-value sera taxée à 10%.
Qui sera concerné par cette mesure?
Cette nouvelle contribution de solidarité ciblera les personnes physiques et les personnes morales (ASBL, fondations), mais pas les sociétés (SA, SRL, société coopérative).
Concrètement, les investisseurs et les entrepreneurs détenant des actions en leur nom propre dans une société seront concernés.
« Un entrepreneur ou un dirigeant d’entreprise qui revend les parts de son entreprise en tant que personne physique sera directement soumis à cette taxation », poursuit François Collon, avocat fiscaliste et fondateur de Collon Law.
À l’inverse, les sociétés (personnes morales) – à l’exception des ASBL et des fondations, qui seront aussi concernées – qui détiennent des actions d’autres entreprises ne seront pas affectées. « Ces dernières resteront soumises au régime classique de l’impôt des sociétés, où les plus-values sont en principe imposées comme des bénéfices, sauf exonération dans le cadre du régime des revenus définitivement taxés », ajoute le spécialiste.
Quelle méthode appliquer pour fixer la valeur de votre PME?
Qui dit plus-value… dit valorisation. Or, évaluer la valeur d’une entreprise n’est jamais un exercice simple. De fait, la valorisation d’une PME repose sur différentes méthodologies, dont l’application dépend de la structure financière de l’entreprise, de son secteur d’activité et du contexte économique dans lequel elle évolue.
Et c’est justement là que le bât blesse: la dernière version du texte, que nous avons pu parcourir, suggère des modalités qui laissent les spécialistes perplexes.
Ce texte, en l’état, prévoit, en effet, trois méthodes pour déterminer la valeur des actions non cotées, cela avant le 31 décembre 2025, date-clé à partir de laquelle seront calculées les plus-values imposables.
> Le prix de transaction entre parties indépendantes en 2025
Si un entrepreneur vend, en 2025, des actions non cotées à des tiers (c’est-à-dire à des parties totalement indépendantes), le prix de cette cession pourra être retenu comme valeur de marché de référence au 31 décembre 2025.
Cette présomption repose sur l’idée qu’une vente entre parties indépendantes reflète objectivement la valeur réelle de l’entreprise.
Dans ce cadre, le prix de cession constaté pourra servir de base pour évaluer les autres actions détenues dans la même société au moment de l’entrée en vigueur de la réforme.
Exemple
Prenons l’exemple d’un consultant dans le secteur informatique, détenteur des actions de sa propre société. En 2025, il cède 10% de ses parts à un tiers totalement indépendant pour un montant de 300.000 euros.
Cette transaction peut être considérée comme révélatrice de la valeur de marché de l’entreprise à cette date.
En 2026, ce même consultant revend à nouveau 10% de ses actions, cette fois pour 400.000 euros.
Dans ce cas, la base du calcul de la plus-value imposable ne sera pas le prix d’acquisition initial, mais bien la valeur de référence déterminée en 2025, soit 300.000 euros. La plus-value taxable sera donc de 100.000 euros, correspondant à la différence entre les deux prix de vente.
> La formule contractuelle existante
Une valeur de marché pourrait également être retenue lorsqu’une formule d’évaluation figure dans un contrat ou une offre contractuelle, par exemple sous forme d’option d’achat ou de vente. Pour être valable, cette formule devrait être applicable au 1er janvier 2026.
Dans ce cas, si une offre formelle est faite avant cette date pour racheter les titres en question, le prix fixé dans l’offre pourra servir de base à la valorisation des actifs concernés.
> Une méthode forfaitaire basée sur l’ebitda
Si aucune vente n’a été constatée ou qu’aucune formule n’existe, dans ce cas, la valorisation sera déterminée sur base de l’ebitda (l’excédent brut d’exploitation) de l’exercice comptable terminé avant le 1er janvier 2026, que l’on multipliera par 4.
Exemple
Partons du postulat qu’une entreprise comptabilise:
– 532.195 euros de gains
– 10.239 euros d’intérêts
– 160.000 euros de taxes
– 125.664 euros d’amortissement
⮕ L’ebitda établi avant le premier janvier 2026 sera de 828.097 euros.
Le calcul simplifié sera donc le suivant: (828.097 x le multiple imposé, donc 4) + le cash (nécessaire pour faire tourner la société, donc les frais) – les dettes financières = le montant de valorisation de la société.
> La valorisation par un réviseur ou un expert-comptable
Les entrepreneurs pourraient aussi faire appel à un réviseur d’entreprise ou un expert-comptable agréé pour établir une valorisation spécifique de leur société. Cette solution, plus coûteuse, pourra être choisie lorsqu’ils estiment que la méthode forfaitaire de l’ebitda n’est pas avantageuse.
Mais encore, « les entrepreneurs qui pensent que la méthode forfaitaire (fonds propres + 4 fois l’ebitda) sous-évalue leur société auront jusqu’au 31 décembre 2026 pour produire une évaluation alternative, établie par un réviseur d’entreprise ou un expert-comptable certifié », explique François Collon.
Au-delà de cette date, il ne sera plus possible d’invoquer une autre valorisation. « Autrement dit, il ne faudra pas trop traîner pour contacter un professionnel du chiffre! », ajoute Denis Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste (Bloom Law).
Un multiple à géométrie variable et source d’inégalités?
Ce système, selon les spécialistes, apparaît néanmoins problématique sur plusieurs plans. Tout d’abord, le recours au multiple de quatre pour l’ebitda est jugé arbitraire et peu représentatif de toutes les entreprises: « Cette méthode fera plaisir à certains, moins à d’autres. Une formule reposant sur un multiple de l’ebitda me paraît économiquement irréaliste, étant donné les différences sectorielles dans ce domaine. N’y a-t-il pas ici une différence de traitement susceptible de donner lieu à un recours devant la Cour constitutionnelle? », s’interroge Denis-Emmanuel Philippe.
Mais encore, si le contribuable peut faire appel à un professionnel du chiffre pour valoriser son entreprise à une valeur supérieure, encore faut-il que cette expertise soit reconnue comme suffisamment étayée par l’administration fiscale, sous peine de rejet et de contentieux. Selon Denis-Emmanuel Philippe, « il ne fait pas de doute que ces évaluations donneront lieu à des discussions avec le fisc ».
Anticiper pour sécuriser?
Si vous envisagez une cession de parts à moyen terme – à l’horizon 2030 ou au-delà –, il est préférable de faire établir une valorisation de l’entreprise dès la fin de l’année 2025. « L’objectif est ici de fixer ce que la législation appelle la ‘valeur d’acquisition historique’, c’est-à-dire la valeur de l’entreprise au 31 décembre 2025. C’est cette valeur qui servira de référence dans le calcul des plus-values imposables réalisées après le 1er janvier 2026 », explique Denis-Emmanuel Philippe.
Plus cette valorisation sera rigoureuse et documentée – le texte de loi requiert qu’elle soit réalisée par un réviseur d’entreprises ou un expert-comptable certifié –, plus les chances qu’elle soit contestée par l’administration fiscale seront ainsi faibles. Une approche confirmée par François Collon: « S’abstenir d’agir dans les délais impartis pourrait avoir un coût important », conclut-il.
Journaliste Ewa Kuczynski
Lire aussi l’article dans L’ Echo